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modifient le moins. Il reste ce qu’il a toujours été, retrouvant par instans les plus éclatantes inspirations et accusant peut-être aussi de plus en plus les parties abruptes et violentes de son talent. Une des plus curieuses études serait de suivre la marche de ce vigoureux génie depuis les Feuilles d’Automne jusqu’aux Contemplations. Chacun des précédens recueils de l’auteur serait une étape sur cette route. On pourrait voir se poursuivre partout, sous toutes les formes, cette lutte terrible et inégale entre l’idée et l’image envahissante, despotique. Les Contemplations expriment-elles une pensée particulière ? marquent-elles une phase distincte dans le développement moral de cette rare organisation de poète ? Il serait difficile peut-être de saisir la gradation des idées et des sentimens, bien que l’auteur ait divisé son œuvre en deux grandes parties, — Autrefois et Aujourd’hui, — et que ces deux parties se subdivisent elles-mêmes en livres différens qui semblent conduire la pensée à travers les chants successifs d’un poème : Aurore, l’Ame en fleur, les Luttes et les Rêves, Pauca meae, En marche. Au bord de l’Infini.

La véritable unité, c’est l’âme vibrante du poète qui obéit à tous les souffles, et dont l’inspiration s’allume dans le deuil comme dans la joie. Une des plus émouvantes parties de ce livre, c’est sans aucun doute cet ensemble de pièces que l’auteur consacre à sa fille, morte, il y a plus de dix ans déjà, dans toute la grâce de la jeunesse. C’est à cette ombre chère, à celle qui est restée en France, que l’œuvre tout entière est dédiée. Il y a la tout un poème de la mélancolie où la même pensée se déroule en strophes toujours nouvelles, soit que le poète peigne cette mort cruelle de deux jeunes gens qui disparaissent dans l’eau pour ne plus revenir à la lumière, soit qu’il chante son chant d’amertume et de résignation, comme dans le morceau qui a pour titre : A Villequier. Dans ces pages, où la douleur du père est entremêlée de retours sur la tristesse de l’exil, on sent toute la puissance d’un sentiment vrai ; il en est de même toutes les fois que le poète rencontre un sentiment de cette nature ou une pensée élevée. Telle est la pièce sur les Pleurs dans la Nuit, où, après un commencement pénible et obscur, l’inspiration s’échappe en vers magnifiques sur la mort. Malheureusement il n’en est point toujours ainsi, et ce qu’on pourrait appeler la partie philosophique des Contemplations est sans contredit le plus étrange caprice d’une imagination vigoureuse. Ce n’est pas que la même il n’y ait parfois des beautés réelles. Le morceau intitulé Magnitudo parvi contenait une idée simple et grande ; seulement cette idée finit par se perdre en développemens démesurés. Qu’est-ce encore lorsque M. Victor Hugo entreprend de démontrer le système du monde par la métempsycose et d’expliquer comment l’âme d’Attila est passée dans un chardon, celle de Verrès dans un loup, ou comment une feuille de rose devient une langue de chat ! Cela n’est pas plus bizarre que les quelques vers où l’auteur des Contemplations répond à un interlocuteur qui lui demande quel est son dieu et quelle est sa religion. Le poète montre la lune montant à l’horizon, et il ajoute : Voilà Dieu qui officie, et voilà l’élévation ! On sent ici l’entraînement de l’imagination. La lune se trouve la merveilleusement pour figurer une hostie. C’est l’abus du mot poussé à sa dernière limite. L’ombre et la lumière se mêlent donc singulièrement dans les Contemplations, C’est un soir splendide encore si l’on veut, mais c’est le soir, sinon