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sortira l’organisation nouvelle de ces provinces, organisation délibérée, par les puissances contractantes, garantie par elles et promulguée par un hatti-chérif du sultan. En tout état de cause, les principautés de Moldavie et de Valachie auront une administration indépendante, la liberté du culte, du commerce, de la législation, une force armée nationale pour assurer la tranquillité intérieure et la défense extérieure. Nul n’aura un droit particulier d’ingérence dans leurs affaires. Un article abroge implicitement toutes les transactions antérieures qui liaient la Russie et l’empire ottoman.

Le traité, disions-nous, est accompagné de plusieurs conventions annexes. La première a pour objet de modifier le traité des détroits de 1841, de façon à le rendre compatible avec la présence de bâtimens de guerre aux bouches du Danube, sans déroger au principe, de nouveau confirmé, de la clôture des détroits. La seconde est un traité spécial entre la Russie et la Turquie, fixant d’un commun accord le nombre de navires de guerre qu’elles pourront désormais entretenir dans la Mer-Noire. Ce nombre est de six bâtimens à vapeur de 800 tonneaux au maximum et de quatre bâtimens légers à vapeur dont le tonnage ne devra pas excéder 200 tonneaux. Enfin la dernière annexe est une convention particulière entre la France, l’Angleterre et la Russie, par laquelle celle-ci s’engage à ne point fortifier les îles d’Aland et à n’y maintenir aucun établissement militaire.

C’est à l’abri de cet ensemble de stipulations très diverses, touchant à tous les intérêts et à toutes les questions, que la paix de l’Europe et de l’Orient se trouve placée dès ce moment. Ainsi finit une négociation où tout a été discuté, comme on le peut voir par les protocoles qui se publient aujourd’hui, où probablement plus d’une difficulté s’est élevée, et où le ministre des affaires étrangères, M. le comte Walewski, a tenu jusqu’au bout avec fermeté le rang privilégié qui lui était assuré par la position de la France et par le rôle qu’elle a joué dans cette grande affaire.

Certes toutes les complications dont le germe existait en Europe ne se sont pas subitement évanouies. Le traité qui vient d’être signé n’a pas dissipé tous les nuages derrière lesquels se cache l’avenir : il a du moins le mérite, on peut le dire, d’avoir résolu la question qu’il avait pour but de résoudre. Il laisse l’Orient affranchi, l’empire ottoman libre dans son action, la Russie ramenée à une condition plus conforme aux intérêts généraux du monde, la France et l’Angleterre satisfaites d’avoir mené jusqu’au bout avec désintéressement une œuvre salutaire et restant animées des mêmes sentimens d’union, l’Europe étonnée et rassurée de ce qui vient de s’accomplir. Le temps marche si rapidement, qu’on semble souvent ne point apercevoir les grands résultats, parce qu’ils ont paru acquis à mesure que les circonstances se déroulaient Qu’on se souvienne pourtant du point de départ de cette lutte. La Russie avait des traités nombreux qui mettaient la Turquie dans Sa dépendance, et elle prétendait à des droits nouveaux qui eussent étendu sa suzeraineté sur tous les chrétiens de l’empire ottoman. Elle semblait disposer des principautés comme d’un gage qui lui était assuré. Dans la Mer-Noire elle avait une flotte immense, et sur les bords de cette mer elle avait des places et des arsenaux qui se sont trouvés assez forts pour résister près d’une année à une attaque formidable. Enfin il n’est point douteux que la Russie avait en Europe une position presque souveraine, née de bien des