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Pour le pâle ouvrier que la misère gagne,
La femme et les enfans sont un âpre souci.

À vos champs, à vos bois, demeurez donc fidèles :
Aimez vos doux vallons, aimez votre métier.
Auguste est le travail de vos mains paternelles,
C’est de votre sueur que vit le monde entier.

De l’air qui vous entoure une sagesse émane ;
La plante vous conseille et le sol vous instruit :
— Restez, dit le sillon, dont vous cueillez la manne ;
Et le frêne du seuil : Malheur à qui me fuit !

Les saisons, il est vrai, vous sont parfois cruelles ;
Aux caprices des cieux vos labeurs sont soumis.
Les blés tendres encor sont broyés par les grêles,
Les vergers sont battus par les vents ennemis.

Le désastre pourtant n’est jamais sans remède ;
Avant peu, sous vos toits, la douleur s’interrompt.
L’olive a fait défaut, les prés viendront en aide ;
Si les blés ont manqué, les pampres donneront.

Qu’elle est hideuse à voir, la misère des villes !
De quels affreux haillons ses membres sont vêtus !
Que d’opprobres en elle et de passions viles !
La pauvreté rustique est mère des vertus.

Elle a sa dignité ; sans envie et sans haine,
Elle va poursuivant le travail de ses bras.
Virile et bienfaisante, elle ressemble au chêne,
D’autant plus généreux sur des sols plus ingrats.

C’est elle qui revêt d’une indomptable force
Vos fils durs à la neige, insensibles au feu ;
Par elle, vous gardez, sous une rude écorce,
Les tendresses du cœur et la croyance en Dieu.

Si la France un matin vous aligne en phalange,
Vous savez faire honneur à votre humble berceau,
Vous, dignes héritiers des gloires sans mélange,
Frères de Jeanne d’Arc, de Hoche et de Marceau !

Aux voix qui vous diront la ville et ses merveilles,
N’ouvrez pas votre cœur, paysans, mes amis !
À l’appel des cités n’ouvrez pas vos oreilles ;
Elles donnent, hélas ! moins qu’elles n’ont promis.


J. AUTRAN.