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les belles-lettres. Si le siècle était plus érudit, si l’ignorance ne courait pas les rues, Polyanthe ne demanderait qu’à l’Enéide, aux Géorgiques, l’expression de ses moindres pensées ; il parlerait en vers latins de tous les détails de la vie familière. L’Académie sera-t-elle sans pitié pour nous ? Voudra-t-elle nous exposer au silence d’un tel conseiller ? J’augure mieux de sa générosité. Plaise à Dieu que mon espoir ne soit pas trompé !

Théodule vit tout en Dieu. Qu’il parle d’un poème ou d’une comédie, d’un roman ou d’une chanson (car, malgré sa piété profonde, il s’occupe volontiers de littérature profane), il ne prononce pas un jugement sans consulter les pères de l’église. Il regarde en pitié ceux qui se permettent d’estimer les œuvres poétiques d’après les seules lois du goût. Si le siècle n’était pas sourd aux conseils de Théodule, tout irait bien mieux ; les décisions du concile de Trente serviraient à régler toutes les contestations littéraires. Comment récuser la compétence de Théodule ? N’est-ce pas à la prière qu’il demande ses inspirations ? Il est trop dévot pour se tromper. Cependant, comme les âmes les plus pures ne peuvent échapper aux faiblesses humaines, Théodule est dévoré de la même ambition que Polyanthe : il rêve un fauteuil académique. Le sourire des douairières ne lui suffit pas, il veut à tout prix entrer à l’Académie. Pendant longtemps il n’a pas eu d’autre souci que de faire son salut ; il vouait son talent à la défense de la sainte cause, et se trouvait assez récompensé par le témoignage de sa conscience. Aujourd’hui les honneurs mondains excitent sa convoitise. Cependant il ne faut pas se méprendre sur les intentions de Théodule : s’il désire si vivement les palmes académiques, c’est sans doute pour travailler au salut de ses futurs confrères. Une résolution si chrétienne doit obtenir l’approbation de tous les honnêtes gens. Ce n’est pas vanité, c’est dévouement. Jusqu’à présent, il n’a trouvé qu’une seule voix pour soutenir sa candidature, mais une voix éloquente, la voix de Polyanthe. Ils ont passé ensemble un traité de louanges mutuelles qui fait merveille : ils se vantent réciproquement avec une délicatesse, une élégance qui rappellent les beaux temps de l’hôtel Rambouillet. Polyanthe consent à n’être qu’un roturier, pourvu qu’on exalte son savoir, il ne demande rien de plus. Théodule ne se contente pas si facilement, et son allié le sait bien. Dire que Théodule a retrouvé la période nombreuse de Massillon pour parler des choses du salut, ce n’est pas assez ; il faut encore louer sa bonne mine, la fierté de sa démarche, le nœud de sa cravate, la fraîcheur de ses gants, et surtout sa manière d’entrer dans un salon. Chez lui, en effet, l’écrivain ne vient qu’après l’homme bien élevé. Si la sainte cause trouvait des avocats dans la roture, peut-être Théodule consentirait-il à ne plus écrire. La causerie est son triomphe, et sa pensée, confiée au