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chapelet, symbole de la prière, l’autre un plat pour recevoir les aumônes ; la troisième porte une massue, la quatrième fait le geste d’enseigner. La massue que porte Vrihaspati n’est point celle d’Hercule : elle ne suffit pas à donner au brahmane l’aspect terrible d’un maître tout-puissant ; à peine représente-t-elle la justice divine menaçant l’impie qui s’écarte de la droite voie. Le pouvoir temporel ne réside donc point entre les mains du brahmane. Si, par l’influence de sa parole et de ses enseignemens, il exerce une action plus ou moins considérable sur la conduite des rois et sur la destinée des peuples, toujours est-il que le législateur ne lui a point confié le gouvernement de la nation hindoue. Quelles sont donc, hors de la légende et dans la vie pratique, ses fonctions réelles ? comment vit et à quoi s’occupe dans notre temps cette caste nombreuse, qui, s’accroissant de siècle en siècle, ne pouvait plus fournir à chacun de ses membres l’occasion d’exercer ses hautes prérogatives ?

L’Inde est fractionnée en une foule de petits états gouvernés par autant de princes qui tous ont une petite cour. Près de ces râdjas[1], les brahmanes remplissent plus d’une fonction importante ; ils sont chapelains, prêtres de famille, ministres, conseillers auliques (comme on dirait dans les petits états d’Allemagne), astrologues, empiriques, précepteurs, secrétaires. Partout où il y a place pour la pensée ou pour la parole, ils paraissent au premier rang. Ces hautes positions viennent-elles à manquer, la loi ancienne leur ouvre une foule de carrières secondaires qu’ils peuvent embrasser sans déroger. Le cas de détresse, c’est-à-dire les circonstances majeures qui mettent le brahmane dans l’impossibilité d’étudier et d’enseigner, de sacrifier ou de desservir les temples tout le temps de sa vie, a été prévu par Manou lui-même, et de nos jours la caste privilégiée en a été réduite à mettre bien souvent en action ce passage du texte sacré : « Mais si un brahmane ne peut vivre en s’acquittant de ses devoirs… » oh ! alors il sera soldat, marchand, laboureur même, tout ce qu’il pourra, excepté serviteur à gages. Il vendra toute sorte d’objets, excepté les sucs végétaux, les tissus de chanvre, le riz cuit, les graines de sésame, les pierres, le sel, le bétail, les étoffes rouges, les tissus de lin ou de laine ; les fruits les racines, les plantes médicinales, l’eau, les armes, le poisson la viande, etc., et l’énumération se poursuit ainsi à l’infini. En vérité, on ne voit guère ce qu’un brahmane peut exposer en vente dans sa boutique. Reste le commerce des métaux et des pierreries, et celui des étoffes de soie. Aussi rencontre-

  1. On désigne plus particulièrement par ce nom les rois de l’Inde qui sont restés fidèles au brahmanisme. Ceux qui ont embrassé l’islamisme ou qui descendent des Mogols ont des titres empruntés aux langues arabe et persane : châh, padischâh, nizam, nabab, etc.