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parce que ses blés entrent désormais en franchise comme produits français, soit enfin parce que les terres incultes y sont en quelque sorte indéfinies, que le sol et le climat se prêtent, dit-on parfaitement aux céréales, que la population est rare et sobre à l’excès, et que rien n’y est épargné pour développer la culture. Malgré toutes ces circonstances favorables, dont l’effet se centuple encore par le haut prix des grains depuis trois ans l’Algérie a beaucoup de peine à nous vendre plus d’un million d’hectolitres de froment par an. On dit qu’elle nous en vendra beaucoup plus un jour, attendons avant de l’affirmer ; voyons ce qui arrivera quand le prix des grains sera rentré en France dans ses limites naturelles. L’expérience se fera nécessairement, puisque l’échelle mobile n’a rien à voir ici, l’Algérie étant en dehors de la question douanière. Si par hasard il est démontré par le fait que les blés africains, soit qu’ils ne se récoltent pas avec autant d’abondance qu’on l’espère, soit qu’ils aient plus de profit à se diriger vers l’Angleterre, ne peuvent exercer aucune influence sur nos prix, je pense que l’épreuve paraîtra décisive même aux plus craintifs, car de tous les dangers que l’imagination des producteurs peut évoquer, celui-là est le plus grand.

Je n’ai parlé jusqu’ici que du froment, parce que c’est le seul grain dont l’importation ait quelque valeur. On a beaucoup vanté aussi le maïs américain ; outre que la consommation de ce grain ne fait pas beaucoup de progrès en Europe, son prix est tel en Amérique, qu’il ne peut en venir, quoi qu’on dise, des quantités un peu notables à bon compte. Les États-Unis ont une étendue égale à celle de l’Europe ; le maïs peut s’obtenir à peu de frais dans la vallée du Mississipi, mais sur la côte, malgré les chemins de fer, les canaux, les lacs, les fleuves et la vapeur, il se vend aussi cher qu’en France en temps ordinaire. Dans les anciens états, la terre commence à s’épuiser, l’agriculture américaine est forcée d’avoir recours aux mêmes procédés qu’en Europe pour renouveler sa fécondité, et les États-Unis sont, après l’Angleterre, les plus grands acheteurs du guano du Pérou.

Enfin n’oublions pas l’autre côté de la question, qui n’est pas le moins sérieux. Si nos producteurs ont peu à craindre la liberté d’importation, n’ont-ils pas quelque chose à gagner à son corollaire nécessaire, la liberté d’exportation ? Nous n’aurons pas toujours de mauvaises années ; s’il s’établit vers Marseille un petit courant régulier de blé étranger, venu d’Algérie ou d’ailleurs, ne peut-il pas, ne doit-il pas s’établir en même temps un courant plus rapide de nos propres blés vers nos frontières du nord et de l’ouest ? Dans ces 25 millions d’hectolitres qui manquent annuellement à l’Angleterre, dans le déficit, non moins constaté, de la Belgique et de la Hollande, où la population est beaucoup plus pressée que chez nous, n’aurons-nous pas une place à prendre par notre extrême proximité ? Nous avons