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mande s’accroît. Ce ne sont pas là des hypothèses, mais des faits. Or l’Angleterre, qui a un déficit annuel et régulier de 25 millions d’hectolitres, peut à elle seule absorber tous les ans la totalité de cet excédant elle n’en trouve même pas assez pour subvenir à ses besoins, et elle est forcée de recourir, pour la moitié environ de son approvisionnement, aux grains inférieurs, comme le maïs. Sans doute, si le commerce était libre, il y aurait toujours à Marseille une petite importation des pays les plus voisins, mais ces arrivages ne peuvent atteindre des proportions un peu fortes, un million d’hectolitres par exemple, qu’autant que le prix local dépasse 25 francs, et dans aucun cas ils ne peuvent franchir les limites qui leur sont imposées par les besoins de l’Angleterre et par la rareté des grains disponibles ; en 1855, ils n’ont pas pu dépasser 3 millions de quintaux métriques.

C’est l’effet de la guerre, dit-on ; soit. Nous allons voir, maintenant que la paix est faite, s’il en viendra beaucoup plus. Nulle part le blé ne pousse tout seul. Dans les pays neufs, où la terre est pour rien et le système des longues jachères praticable, on peut en récolter à peu de frais de faibles quantités ; mais dès qu’il s’agit d’augmenter les produits, les frais se multiplient. M. Lecouteux, ancien directeur des cultures à l’Institut national agronomique, a très bien démontré, dans un traité récent, que les pays riches, pourvus de capitaux, ont plus de facilités que les autres pour accroître leur production céréale ; une terre qui rend 30 hectolitres à l’hectare et qui coûte 300 francs de frais n’exige que 10 francs par hectolitre, tandis qu’une terre qui ne coûte que 100 francs, mais qui ne rapporte que 8 hectolitres, en exige davantage. Ainsi s’expliquent les faits commerciaux. Il y a trois périodes dans la production du blé : la première, où l’on en produit peu, mais, presque pour rien ; la seconde, où l’on en produit davantage, mais où il revient plus cher ; la troisième, où l’on en produit encore plus et où les frais proportionnels diminuent. Il est plus facile de passer de la seconde période à la troisième que de la première à la seconde. Voilà pourquoi les pays peuplés, anciennement cultivés, ont toujours les devans. Ajoutez les frais de transport, les bénéfices du commerce, et vous comprendrez que nos blés n’ont rien à craindre de ceux de Russie, de Pologne et d’Amérique, et que nul ne peut vendre du blé à la France à meilleur marché que le producteur français ; j’en excepte toujours, bien entendu, tel ou tel point où l’on peut satisfaire des besoins locaux, sans effet sur le reste, et les circonstances extraordinaires des mauvaises années.

S’il est un pays qui semble menacer nos producteurs d’une concurrence ruineuse, c’est l’Algérie, soit parce qu’elle est très rapprochée de la partie du territoire national qui manque de grains, soit