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férens âges élevées exclusivement pour la boucherie ou pour le lait, un beau troupeau de moutons anglo-mérinos, une nombreuse porcherie. Il produit dix fois plus de laine, de lait et de viande, mais il a aussi beaucoup plus de frais, et au-dessous d’un certain prix de vente il ne peut plus se retrouver.

En comptant, dans les deux cas, le blé à 20 francs l’hectolitre, la viande à 1 franc et la laine à 2 francs le kilo, le premier produit une valeur totale de 1,500 francs ou 60 francs par hectare, dont une moitié rémunère ses peines et l’autre paie la rente et l’impôt ; le second, une valeur totale de 6,000 francs, ou 240 francs par hectare, dont une moitié pour les salaires et l’autre pour la rente, l’impôt, l’intérêt du capital d’exploitation et le bénéfice. L’un a donc sur l’autre, à tous les points de vue, une immense supériorité. Outre qu’il enrichit de beaucoup plus de produits le fonds national, il peut payer une rente double un double impôt, et avoir pour lui-même un revenu double. Mais supposez que les prix baissent de 50 pour 100, les rôles changent ; toutes les recettes du fermier sont prises par les frais, il ne lui reste rien pour la rente, l’intérêt, l’impôt, le bénéfice ; il est en perte et forcé de s’arrêter. Le métayer au contraire peut toujours marcher, le maître seul à perdu, et seulement pour la partie de ses produits qu’il ne consomme pas en nature.

L’augmentation de production ne peut donc s’obtenir, dans un pays arrivé à un certain point, que par une transformation agricole, cette transformation elle-même n’est possible que si les prix s’élèvent. Avant 1789, le prix de la viande dans le nord n’atteignait pas le taux qu’il a atteint depuis, et la production n’y excédait pas la production actuelle du centre et du midi. Partout les mêmes causes amènent les mêmes effets. Est-il nécessaire que cette progression dans les prix soit indéfinie ? Assurément non. Une fois le prix véritablement rémunérateur obtenu, il peut rester stationnaire sans inconvénient sérieux pour la production. Sans doute il vaudrait mieux pour elle qu’il s’élevât encore, elle n’en ferait que plus de progrès ; mais des progrès sont possibles sans hausse nouvelle : cela suffit. La consommation a ses droits, qui deviennent alors prépondérans. Au premier abord, les intérêts des consommateurs et ceux des producteurs paraissent opposés, mais en fin de compte ils se rapprochent et se confondent. Les uns et les autres ont le même intérêt à trouver le point précis qui concilie le mieux les deux exigences, car sans production point de consommation et sans consommation point de production.

L’introduction du bétail étranger, même en franchise de droits, et à plus forte raison avec un droit modique, peut-elle exercer sur nos marchés une influence appréciable, et, par exemple, réduire le prix courant de la viande sur pied au-dessous du taux rémunérateur