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subordonner à l’énergie de l’expression. Non-seulement cet argument n’ébranlerait pas ma conviction, mais pour convertir mes contradicteurs, je n’aurais qu’à citer le Gladiateur mourant du Capitole, où se trouve résolu le problème de l’harmonie linéaire et de la douleur vivement exprimée. Cette figure assurément ne pêche pas par la froideur, et cependant elle charme par son élégance. Dans le Philopœmen de David, tout est sacrifié à l’action. Les deux bras, presque parallèles, sont le premier défaut qui frappe les yeux. Je ne puis blâmer la flexion de la jambe droite, puisqu’elle est non-seulement indiquée, mais commandée par l’avulsion du javelot; mais on peut adresser à toute la figure un reproche plus grave, c’est de manquer d’élévation. Si la forme réelle est fidèlement rendue, si l’on retrouve sans peine dans la nature tout ce que le marbre offre à nos yeux, il n’est pas moins vrai que ni le torse ni les membres n’appartiennent au style héroïque; or la donnée prescrivait le style héroïque. Les détails sont trop nombreux, et les grandes divisions musculaires que nous admirons dans les débris de l’art grec ne sont pas assez franchement accusées. En un mot, le Philopœmen, excellent si l’on ne tient compte que de l’imitation, laisse beaucoup trop à désirer sous le rapport de la conception. Il ne suffit pas en effet de reproduire habilement toutes les parties du modèle vivant, il faut d’abord choisir un beau modèle, et dans la composition de cette figure David a négligé le dernier point. Il a demandé au maniement de l’ébauchoir ce qu’il aurait dû demander à la réflexion. Ayant devant lui un modèle vivement accentué, il a cru qu’il ne devait rien chercher au-delà. Malgré les nombreux suffrages qu’a réunis cette figure, je crois qu’il s’est trompé. De quel côté sont venues les louanges? Qui a proclamé, qui a célébré le mérite du Philopœmen? Les hommes étrangers aux secrets du métier, qui n’ont jamais entrevu les difficultés de l’imitation, sont demeurés assez indifférens; l’expression énergique et vraie du visage ne les a guère émus, ce qui s’explique sans peine par la nature du sujet : l’action représentée par le statuaire est ignorée du plus grand nombre. Les éloges sont venus de ceux qui ont étudié, qui connaissent la forme humaine, qui ont tenté de l’imiter, qui savent à quel prix on réussit dans une pareille tâche. Les hommes du métier ont vanté très justement l’habileté technique de David; ils n’ont pu vanter l’élévation poétique de son œuvre, et sans élévation poétique, il est impossible d’agir sur la foule. Si le Philopœmen charmait le regard, la foule voudrait savoir et saurait bientôt ce qu’il a fait, pour quelle cause il a combattu, pour quelle cause il a souffert. Comme les lignes de cette figure n’attirent pas ses yeux, il est tout naturel que sa curiosité ne soit pas excitée. La plupart des promeneurs ignorent la vie de Philopœmen, et ne -