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vers les fonctions publiques. Le résultat sera certainement contraire à l’objet que se propose la loi. La congrès perdra tout autorité politique, l’influence passera tout entière dans le sénat, où siégeront tous les hommes éprouvés dans les carrières publiques, sans compter que le gouvernement, disposant des emplois, pourra bien disposer aussi des sénateurs qui y prétendent, ou de ceux qu’il aura nommés, et qu’il pourrait au besoin révoquer. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que l’assemblée constituante avait déjà voté à titre provisoire une loi semblable sur les incompatibilités, et que depuis ce moment chacun s’est appliqué à l’éluder. C’est ainsi que se pratique la vie constitutionnelle en Espagne.

Les discussions financières qui viennent d’avoir lieu ne sont pas une preuve moins frappante de l’esprit qui règne dans l’assemblée constituante de Madrid. Il s’agissait, à l’occasion du budget des recettes, de voter tout un plan financier, en d’autres termes de trouver un moyen de suppléer, par des ressources équivalentes, à cette contribution de consumos supprimée peu après la révolution. Trois ou quatre ministres des finances ont déjà succombé sous le pois de cette question. L’un des derniers, M. Bruil, proposait simplement de rétablir l’impôt aboli. Le ministre actuel, M. Santa-Cruz, avait adouci cette proposition ; mais là est la question délicate. Pour l’assemblée constituante de Madrid, c’est se désavouer, c’est prendre une mesure hardie, c’est braver les passions révolutionnaires, qui se sont fait une arme de cette question, les voix s’était déjà et c’est à quoi l’on ne peut consentir. Dans la commission du budget, les voix s’étaient déjà partagées. M. Santa-Cruz tenait bon néanmoins et se montrait décidé à défendre son plan financier devant le congrès, à le faire prévaloir ou à se retirer. Il était soutenu par le cabinet tout entier, qui faisait cause commune avec lui. Il eût réussi sans nul doute, lorsqu’au dernier moment une fraction du parti progressiste est venue proposer un autre projet, destiné à sauver les finances espagnoles. Ce projet, qui n’a point nécessité un grand effort d’invention, consiste tout simplement à accroître la contribution territoriale, déjà considérable, vu l’état de l’agriculture en Espagne, à créer une nouvelle taxe sur l’industrie et le commerce, à opérer une retenue sur les traitemens. Enfin il est établi à la charge des communes un impôt dit national de 45 pour 100 sur ce qui était payé précédemment pour la contribution de consumos. Le gouvernement, après avoir résisté ’abord, a fini par se résigner et par accepter la proposition en la modifiant un peu, lorsqu’avec plus de fermeté sans doute il eût fait prévaloir ses plans. Voilà donc des ressources votées un peu au hasard pour un an ; seulement rien n’est résolu, et au prochain budget ce sera encore la même difficulté ; il s’agira toujours de trouver une ressource normale et permanente pour combler le déficit.

À cette question financière, du reste, vient se mêler un incident qui met à nu l’état politique de l’Espagne. Au premier moment, lorsque M. Santa-Cruz se montrait résolu à soutenir jusqu’au bout son plan financier, et que le cabinet tout entier s’associait à la résolution du ministre des finances, il s’était formé au sein du congrès, sous le nom de centre parlementaire, une réunion considérable pour appuyer le gouvernement et lui offrir la force d’un parti compacte. Dans cette réunion entraient les hommes les plus éminens de l’assemblée, le général Concha, MM. Rios Rosas, Gomez de la Serna,