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d’une dignité facile, d’opinions sagement et habilement tempérées. M. de Sainte-Aulaire était trop modeste, a dit spirituellement M. de Broglie, pour se faire homme de lettres à cinquante ans ; il s’était borné à écrire un de ces livres qui dénotent l’homme habitué aux affaires du monde et l’esprit cultivé, — l’Histoire de la Fronde. C’est sous ce pavillon, pour ainsi dire, que le diplomate, le personnage politique et social avait fait son entrée à l’Académie. Après la nomination de M. de Broglie à la place de M. de Sainte-Aulaire, la tradition n’est point interrompue, elle se continue avec ce lustre que donne le passage dans les premières positions de l’état.

Entre les hommes de notre temps, M. le duc de Broglie a certainement une physionomie à part ; il s’est fait une situation distincte par le respect universel qu’il a su inspirer en se respectant lui-même, aussi bien que par la nature de son esprit et les habitudes qu’il a portées dans la vie publique. C’est ce qu’on pourrait appeler un whig français, un gentilhomme libéral, resté tel à travers tout. Seulement, s’il est ainsi, c’est moins par une tradition de parti, comme en Angleterre, que par réflexion, par l’effort de l’intelligence. Il y a en lui du métaphysicien, de l’homme d’état, et, si ce mot n’avait point été si étrangement dénaturé, on pourrait ajouter de l’aristocrate. Bien qu’à certaines époques de sa vie il ait écrit divers morceaux sur l’existence de l’âme, sur les lois pénales ou sur le théâtre, M. de Broglie n’est point sans doute un écrivain, si on n’attache à cette parole d’autre sens que celui d’un travail absolument et exclusivement littéraire. C’est un écrivain au contraire, si, dans les œuvres et les discours, on cherche avant tout l’expression d’un caractère doué d’une originalité propre. M. de Broglie n’a point parlé ou écrit par profession ou pour conquérir le pouvoir ; mais quand l’occasion est venue d’écrire ou de parler, il a eu une expression à lui, une éloquence où l’on sentait une conviction arrêtée, un esprit assez haut et même dédaigneux. C’était un langage substantiel et net, mêlé de vues générales ou abstraites et de familiarités pratiques. Tel a été encore le discours de réception de M. le duc de Broglie, avec une couleur littéraire plus marquée, comme il convenait à la circonstance. Le nouvel élu a su être à la fois simple et digne, modeste et fier, fidèle à ses idées, à ses convictions, au gouvernement qu’il a servi, et par degrés il s’est élevé à la fin jusqu’à une éloquence mâle et un peu désabusée. M. de Broglie est assurément un des hommes qui changent le moins, et c’est là peut-être la raison du jugement qu’il a porté sur la fronde.

L’orateur académicien, à la lumière du récit de M. de Sainte-Aulaire, distingue trois époques dans la fronde, la première où domine l’intérêt général, où l’on est infecté de l’amour du bien public, selon le mot de Mme de Motteville, la seconde où toutes les rivalités de pouvoir et d’influence, en éclatant, produisent la guerre civile, la troisième enfin où au milieu de la lassitude universelle chacun ne songe plus qu’à tirer son épingle du jeu. Hélas ! n’est-ce point là le programme de toutes les révolutions ? On part avec des convictions généreuses ou des illusions. Bientôt surviennent les luttes terribles entre des passions acharnées qui se disputent la puissance. Puis c’est l’heure du dénoûment, qui est toujours semblable et qui offre toujours le même spectacle, la recherche du repos avec profit. Dans cette carrière, tous les hommes ne s’arrêtent pas au même point, il en est même qui ne s’arrêtent jamais, et