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prennent la futilité de leur savoir et du fatras entassé dans leur cerveau, ils changent tout à coup de nature ; je ne vois plus en eux des pédans ridicules, mais des hommes sensés. Dès qu’ils commencent à savoir qu’ils ne savent pas, ils sont sur la route de la vraie science, et la pensée de Molière s’évanouit. J’en ai dit assez pour prouver que l’École des Femmes, le Misanthrope, Tartufe et les Femmes savantes ne sont ni compris ni rendus au Théâtre-Français d’une manière conforme à l’intention de l’auteur. Pour la représentation de ces grands ouvrages, le caprice et la routine sont plus souvent consultés que la raison.

Ce que j’ai dit de ces quatre grands ouvrages, je pourrais le dire de bien d’autres conçus par le même génie. En parlant de l’Avare et de Don Juan, du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire, je serais forcé de répéter à peu près les observations que j’ai présentées en parlant de l’École des Femmes et du Misanthrope, de Tartufe et des Femmes savantes. Je crois bien faire en circonscrivant le champ de mes études dans des limites plus étroites. Si le lecteur en effet a bien voulu suivre avec attention l’enchaînement de mes idées et les preuves que j’ai apportées pour établir la légitimité de mes regrets, il arrivera comme moi à cette conclusion, que Molière n’est pas compris au Théâtre-Français, qui s’appelle pourtant la maison de Molière. Pour bien des spectateurs, ce sera sans doute une conclusion inattendue ; mais il m’est impossible d’y rien changer. Les esprits frivoles m’accuseront de céder à mon insu au besoin de médire, ils m’accuseront d’éplucher la représentation des comédies de Molière avec la ferme résolution de prendre les comédiens en défaut. Si j’étais assez malavisé pour tenir compte de telles objections, je n’aurais plus qu’à me réfugier dans le silence pour assurer mon repos. Heureusement les esprits frivoles, malgré l’imposante majorité qu’ils composent, ne font pas loi dans la discussion. Comme avant de se prononcer ils ne prennent pas la peine de s’informer, — quand ils ont donné leur avis, ils ne se mettent pas en quête d’argumens pour le soutenir. Bien des gens trouveront qu’ils ont raison. Depuis quand le théâtre est-il devenu chose sérieuse ? depuis quand faut-il étudier, faut-il réfléchir, avant de décider si telle ou telle comédie est bien ou mal comprise, bien ou mal rendue ? Je n’essaierai pas de convertir les indifférens. Pour sentir la valeur des questions littéraires, il faut être doué d’une faculté particulière, que les argumens les plus décisifs ne réussiront jamais à développer. Toutes les fois que je trouve en face de moi un contradicteur qui ne paraît pas prendre la discussion au sérieux, qui ne s’en soucie pas, je renonce à le persuader. La comédie est pour moi une chose importante ; elle exerce une action puissante sur les mœurs et sur l’opinion, et lorsqu’il s’agit de Molière, la question s’élève. Il n’est