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le mérite de l’originalité. J’imagine que si l’auteur pouvait assister maintenant à la représentation du Misanthrope, il aurait grand’peine à reconnaître son ouvrage et demanderait ce qu’on joue. Il y a pourtant parmi les spectateurs des esprits complaisans pour qui l’admiration est devenue un besoin impérieux, et qui louent sans hésiter la nouvelle Célimène. On ne sait pas à quel point le goût public est dépravé par les œuvres uniquement destinées à combattre l’ennui. « C’est une vieille pièce, disait-on près de moi ; mais elle est si bien jouée ! Célimène est si gracieuse ! » C’est-à-dire que tous les contresens attestés par l’intonation, toutes les bévues révélées par le geste et le regard, étaient, aux yeux de ces auditeurs bienveillans, autant de circonstances atténuantes qui plaidaient en faveur de Molière. Heureusement il se défend par lui-même ; autrement sa cause serait perdue. Mme Plessy ne comprend pas le rôle de Célimène et le joue d’une manière inintelligible. Voilà ce qu’il faut dire pour demeurer fidèle à la vérité. — M. Geffroy, dans le rôle d’Alceste, a su se concilier la sympathie. Il est certain qu’il saisit bien toute la partie austère du personnage ; mais il n’a pas l’élégance qu’on pourrait souhaiter. On s’attend à trouver dans l’homme aux rubans verts autant de raillerie que d’indignation, et chez le comédien l’indignation domine trop souvent la raillerie. Ce n’est pas d’ailleurs le seul reproche que je doive lui adresser. Il ne respecte pas assez religieusement la mesure des vers. Quand il est mandé devant la cour des maréchaux, au lieu de dire, comme l’auteur l’a voulu : « Quel accommodement veut-on faire entre nous ? » neuf fois sur dix il s’écrie : « Eh ! quel accommodement, etc. » Il paraît croire que cette interjection inattendue donne plus de naturel au débit. De la part d’un acteur aussi studieux, je ne m’explique pas ce caprice, et ce n’est pas le seul que je pourrais relever. Ce qui manque surtout à M. Geffroy, c’est la souplesse, la variété, et le rôle d’Alceste n’est pas un rôle tout d’une pièce, comme on paraît le croire au théâtre. Quand il parle à Célimène de sa tendresse, sa voix devrait s’adoucir. M. Geffroy n’est pas de cet avis. Sa voix est toujours la même, toujours mordante, souvent un peu aigre. Cependant il faut reconnaître que depuis Firmin et Menjaud personne n’a compris ce rôle aussi bien que lui. Peut-être ne lui est-il pas donné de l’exprimer dans toute sa variété : il fait de louables efforts pour se plier à la pensée de l’auteur, et s’il n’est pas complétement vrai, ce n’est pas faute de zèle. — Mirecour rend bien le personnage d’Oronte ; il a toute l’impertinence, toute la fatuité d’un marquis bel-esprit. Je crois pourtant qu’il serait encore plus vrai si dans la lecture du sonnet il apportait moins de lenteur ; à force d’appuyer sur les moindres détails, il arrive à exciter presque autant d’impatience que d’hilarité. Sa prononciation, qui n’est pas nette,