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MOLIÈRE
À
LA COMÉDIE-FRANÇAISE


Depuis plus de vingt ans, j’entends dire que les comédiens du Théâtre-Français possèdent la tradition, qu’ils ne se trompent point sur le sens des rôles de l’ancien répertoire. Cette opinion ne me semble pas fondée, et je crois utile de dire pourquoi. Lors même qu’on arriverait à me prouver que les comédiens d’aujourd’hui ont reçu les révélations de leurs devanciers immédiats, et qu’on remonterait ainsi, preuves en main, par une suite non interrompue de confidences, jusqu’aux dernières années du règne de Louis XIV, il resterait à établir que le secret, en passant de bouche en bouche, est demeuré ce qu’il était au premier jour, que les acteurs qui ont joué pour la première fois les ouvrages de Corneille, de Racine et de Molière, qui ont reçu leurs conseils et profité de leurs leçons, ont pu les transmettre sans les altérer. Or je crois la chose difficile. Il y a donc lieu de mettre en doute l’authenticité de la tradition dont se prévalent les comédiens du Théâtre-Français pour réduire au silence tous ceux qui se permettent de ne pas les approuver sans réserve ; mais le doute n’est pas le seul argument qu’on puisse opposer à leurs prétentions. Non-seulement en effet ils ne réussiront jamais à prouver que le secret de Corneille, de Racine et de Molière est venu jusqu’à eux, transmis fidèlement de génération en génération, mais il n’est pas malaisé de leur montrer que le sens qu’ils donnent parfois à leurs rôles ne s’accorde pas avec l’intention de hauteur et blesse le goût et la raison. Pour établir la légitimité de mon opinion, je choisis quatre comédies de Molière, l’École des