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de la consonnance d’octave. Ainsi fut constituée dans l’art, et par l’influence ou par la pression de l’harmonie, l’unité de notre gamme diatonique, qui a fait disparaître en les absorbant les échelles du plain-chant ecclésiastique, comme les dialectes disparaissent devant une langue plus simple, instrument de la maturité de l’esprit. De l’avènement de la dissonance naturelle, source de la modulation, c’est-à-dire du coloris, date en Europe la distinction des écoles nationales, car elle fournit au compositeur les moyens matériels de rendre simultanément l’accent des passions contraires et d’entourer la mélodie, qui n’exprime qu’un sentiment absolu de l’âme, de toutes les modifications de temps, de lieu, d’ombre et de lumière qui accusent la présence de la nature extérieure. Aussi la révolution opérée par Monteverde n’est-elle point un fait isolé. Contemporaine de la naissance de l’opéra et de la mélodie savante, qui s’essayait à suivre la poésie en se dégageant des complications de la musique madrigalesque, l’invention de Monteverde est une conséquence directe du mouvement général d’émancipation qui entraîne le XVIe siècle. Artiste de génie, Monteverde obéit à l’impulsion de son temps : il veut que l’orazione ou la poésie soit la maîtresse de l’harmonie, contrairement aux préceptes des contre-pointistes, qui ne considéraient la parole que comme un prétexte à leurs subtiles argumentations. De ce principe, qui constitue l’oreille juge suprême de la beauté musicale, dérivent tous les admirables effets de l’art moderne. Lotti, Marcello et Galuppi, chacun selon les tendances particulières de son garnie, achèvent de consolider une révolution à laquelle vient se rattacher aussi le chevalier Gluck.

La musique italienne se divise donc en trois grandes écoles : — l’école romaine, fondée par le divin Palestrina, qui fixa à jamais l’idéal de la prière du catholicisme, dont elle semble révéler l’unité dogmatique, en repoussant tout accident de modulation étranger au plain-chant grégorien ; — l’école vénitienne, où éclatent le mouvement et la fantaisie de la vie, et qui s’attache à développer les deux principaux élémens de l’expression dramatique, le rhythme et le coloris ; — l’école napolitaine, qui participe des deux autres, mais plus particulièrement de l’école vénitienne.

Je crois, signori, avoir assez longuement répondu à la question que j’avais promis de résoudre devant cette brillante assemblée, en prouvant que le génie de Venise a eu sur l’art musical le même genre d’influence que sur les autres parties de la civilisation. La musique commence à Venise comme chez toutes les nations modernes par des chansons populaires et le plain-chant ecclésiastique. Ces deux élémens, qui correspondent aux deux grandes divisions de la société au moyen âge, se mêlent bientôt, comme l’esprit séculier pénètre celui de l’église, et de la fermentation qui résulte de ce contact, que,