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échelles diatoniques du plain-chant grégorien, qui sont plus accessibles à l’oreille inexpérimentée de la foule, et dans lesquelles la consonnance naturelle et primordiale de l’octave est dominée par la fraction du tétracorde. Sur ces échelles diatoniques, qui ne se distinguent entre elles que par la place toujours variable qu’occupe le demi-ton, et qui ressemblent bien plus à des dialectes où domine le caprice qu’à une langue en possession de ce caractère de fixité qui révèle une civilisation plus générale, les harmonistes ont créé la science des accords, qui, du VIIIe au XIIIe siècle, arrive à son premier développement. On voit alors se produire un phénomène des plus curieux, on voit s’élever et se répandre dans toute l’Europe les contre-pointistes flamands, ces dialecticiens de la scolastique musicale, qui s’occupent moins du fond de la pensée que de la forme qui doit la contenir, et qui s’attardent à perfectionner tous les élémens matériels de la langue dont va se servir le divin Palestrina. Le chef de l’école romaine ferme le moyen âge, il crée la véritable musique du catholicisme, dont on n’égalera jamais la sublime sérénité, et il meurt en laissant pressentir une révolution qui s’accomplira à Venise.

Fondée au commencement du XVIe siècle par le Flamand Willaert, notre école musicale développa le principe qui caractérise toute la civilisation de Venise, c’est-à-dire la notion de la réalité pratique relevée par le goût des plaisirs, délicats et du faste de la vie. Ce principe se traduit dans les arts plastiques, surtout en peinture, par la prédominance du coloris, qui saisit l’éclat et les contrastes du monde extérieur, et, dans la musique, par le sentiment dramatique, dont le rhythme et la modulation sont les agens matériels. Obéissant à l’influence secrète du pays qu’ils habitaient comme des plantes qui reçoivent de la terre qui les porte les sucs dont elles se nourrissent, Adrien Willaert, Cyprien de Rore et Andréa Gabrieli s’ingénient à combiner de vastes morceaux d’ensemble à deux, trois et jusqu’à quatre chœurs qui dialoguent et se répondent d’un bout de la basilique de Saint-Marc à l’autre. À ces tentatives sourdes du sentiment dramatique, vivifiées par des accidens chromatiques et des figures de rhythme inusitées jusqu’alors, Jean Gabrieli ajoute l’accompagnement des instrumens, dont il assortit les timbres ou les couleurs avec une hardiesse d’imagination très remarquable. Il fortifie la puissance de ces effets par l’intelligence de la poésie et des paroles liturgiques, dont il forme une espèce de drame ou d’oratorio qui lui inspire des combinaisons vocales de rhythme et d’harmonie incompatibles avec l’existence du plain-chant grégorien. Marchant sur les traces de ses prédécesseurs de l’école de Venise et sur celles de Gesualdo, Monteverde achève d’accomplir la révolution commencée avant lui, en employant avec une persistance particulière ce fameux accord de septième dominante qui communique à l’oreille le désir