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Galuppi, Bertoni et Furlanetto, que voici présent, et qui continue avec éclat les traditions de notre genre national.

Ce n’est point forcer l’analogie des choses que de rattacher à l’école de Venise le célèbre chevalier Gluck, qui est venu, il y a trente ans, réformer si à propos notre drame lyrique, car c’est bien moins le pays où le hasard l’a fait naître que la nature des idées qui servent à classer un grand artiste dans l’histoire. Or quels sont les principes qui ont guidé le génie de Gluck du jour où il a eu conscience de sa force ? « Lorsque j’ai entrepris de mettre en musique l’opéra d’Alceste, dit-il dans la dédicace mise en tête de ce chef-d’œuvre, je me suis proposé d’éviter tous les abus que la vanité des chanteurs et l’excessive complaisance des compositeurs avaient introduits dans l’opéra italien ;… je cherchai à réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie dans l’expression des sentimens et l’intérêt des situations… Je crus que la musique devait ajouter à la poésie ce qu’ajoutent à un dessin correct et bien composé la vivacité des couleurs et l’accord heureux des lumières et des ombres qui servent à animer les figures sans en altérer les contours… J’ai cru encore que la plus grande partie de mon travail devait se réduire à chercher une belle simplicité, et j’ai évité de faire parade de difficultés aux dépens de la clarté ; je n’ai attaché aucun prix à la découverte d’une nouveauté, à moins qu’elle ne fût naturellement donnée par la situation et liée à l’expression ; enfin il n’y a aucune règle que je n’aie cru devoir sacrifier de bonne grâce en faveur de l’effet. » Messieurs, les idées de Gluck sont les propres idées de Marcello, celles que Monteverde a émises dans ses préfaces, les idées de Gabrieli, de Cyprien de Rore, de Willaert, qui a fondé l’école de Venise au commencement du XVIe siècle. Il me serait facile de prouver aussi qu’entre ces principes de Monteverde, de Marcello, de Gluck, qui proclament l’indépendance du génie, la toute-puissance du sentiment dans les arts, et le fameux discours de la Méthode, où Descartes se révolte contre la tradition scolastique »pour ne s’en rapporter qu’à l’évidence du sens commun, il existe un lien des plus étroits, l’esprit de la renaissance qui s’élève sur les débris du moyen âge.

Il est temps de terminer ce long discours et d’en résumer la substance en peu de mots. La musique moderne est fille de la musique grecque, comme les langues que nous parlons et la civilisation de l’Europe occidentale sont issues du monde romain transformé par un principe nouveau, qui est le christianisme. La musique a participé à toutes les vicissitudes de l’esprit humain, passant successivement de la multiplicité des échelles primitives à des combinaisons de plus en plus simples, imposées par l’instinct du peuple, qui fait invasion dans la cité savante des patriciens. Aux trois systèmes compliqués de la musique grecque l’église substitue les huit