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dramatique qui annonce la renaissance. Toutefois cet esprit d’émancipation qui caractérise le mouvement du XVIe siècle a laissé une plus forte empreinte dans les compositions de Monteverde, dont le génie audacieux ne fut pas sans avoir une certaine conscience de la révolution qu’il venait accomplir. Guidé par son instinct et par le sentiment dramatique qui préoccupait les poètes et les artistes de son temps, Monteverde osa proclamer, dans une préface mise en tête du cinquième livre de ses madrigaux, publiée à Venise en 1604 et reproduite trois ans après, en 1607, par son frère César Monteverde, que la musique est faite pour charmer les oreilles et peindre les mouvemens de l’âme, non pour obéir à des règles abstraites imposées par les théoriciens. Fort de ce principe et de l’autorité de Platon, qu’il invoque pour soutenir que l’esprit des paroles doit être le principal objet du compositeur, tandis que les anciens, c’est-à-dire les scolastiques, voulaient que l’armonia fosse signora del’ orazione (que l’harmonie dominât la poésie), Monteverde prélude par un grand nombre de combinaisons hardies, puis il arrive enfin à employer, sans préparation, ce fameux accord de septième dominante, qui achève de rompre la tradition du plain-chant grégorien.

C’est dans un madrigal à cinq voix, cruda Amarilli, que Monteverde a fait apparaître pour la première fois l’accord de septième dominante sans préparation, — accord dont la nouveauté, jointe à des figures de rhythme non moins piquantes, souleva la réprobation des vieux théoriciens. Un savant chanoine de Bologne, Artusi, se fit le défenseur des principes admis jusqu’alors, et, dans un livre publié à Venise en 1600[1], il combattit avec une grande vivacité de parole les hardiesses inouïes du novateur. Monteverde, qui avait pour lui la jeunesse, le monde élégant et l’esprit du siècle, répondit à son antagoniste comme celui à qui un philosophe niait le mouvement : il marcha et entraîna la foule à sa suite. Ainsi s’opéra une révolution qui avait pour objet d’introduire dans l’art de la composition cette unité de l’octave que présente la nature. Il fallut un long concours de siècles et de tâtonnemens pour secouer le joug des théories qu’on avait héritées du système musical des Grecs, et pour dégager de la multiplicité des dialectes mélodiques cette langue générale dont j’ai parlé au commencement de ce discours. Notre gamme moderne, avec les deux seules séries que nous en avons tirées, le mode majeur et le mode mineur, est le résultat de la pression de l’harmonie, dont les combinaisons savantes nous rendront un jour par la modulation cette variété d’accens mélodiques qu’elle a dû absorber d’abord pour constituer la langue régulière. Tel est, signori, le grand événement qui marque la troisième période de l’école de

  1. L’Artusi, ovvero delle imperfezioni della moderna Musica, etc., in-folio.