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est fort différent, et la façon dont il tient son crayon n’est pas précisément naturelle. A parler franchement, le caractère théâtral de cette figure s’accorde assez mal avec ce que nous savons des habitudes de Corneille. Tous ses contemporains le représentent comme un homme ennemi de toute affectation, simple dans ses manières, ne cherchant jamais à se faire remarquer, si ce n’est par ses œuvres. La figure composée par David contredit quelque peu la figure esquissée par Fontenelle. Il est difficile de se représenter l’auteur de Cinna le jarret tendu, le bras droit abaissé sur la cuisse, traçant au crayon les pensées qui se pressent dans son cerveau. Chacun conviendra que c’est là, pour un poète qui compose, une attitude un peu gênante. Je reconnais avec empressement que toutes les parties du costume sont rendues avec une fidélité scrupuleuse, de manière à contenter les érudits. Quant au manteau jeté sur les épaules du poète, il me semble aussi difficile à justifier que le mouvement de la figure. Cependant il me reste à exposer une objection plus grave que toutes les précédentes. David, qui avant son départ pour Rome avait étudié l’anatomie avec Béclard, son compatriote, s’était passionné, dans les dernières années de la restauration, pour les doctrines de Gall et de Spurzheim. Son engouement pour la phrénologie explique le développement singulier qu’il a donné au front de Corneille; mais le goût et le bon sens réprouvent une telle exagération. En dépit de la phrénologie, le développement du front n’est pas le signe irrécusable du génie. Il faut encore reconnaître que ni Gall ni Spurzheim n’ont jamais rien avancé de pareil, et que la phrénologie sérieuse ne se prête pas à cette conclusion : elle s’attache à des rapports géométriques parfaitement indépendans de la hauteur du front. Or David a donné à Corneille, non pas le front d’un homme de génie, mais celui d’un hydrocéphale. L’espace compris entre la racine du nez et la naissance des cheveux est égal au reste du visage, ce qui ne s’est jamais vu chez un homme dont le cerveau est en bonne santé. Le masque du Jupiter Olympien, placé au musée du Vatican, satisfait aux conditions géométriques formulées par la phrénologie et ne ressemble guère au masque de Corneille. Nous devons regretter que David n’ait pas trouvé parmi ses amis un homme assez éclairé, assez franc, pour lui signaler cette méprise, car, malgré l’absence de simplicité, il y a beaucoup à louer dans cette figure. Le développement du front a quelque chose de monstrueux pour ceux qui connaissent la doctrine de Gall, et n’a rien de beau pour ceux qui l’ignorent. Y chercher le signe du génie, c’est dénaturer les données de la science et méconnaître d’ailleurs les lois de la beauté.