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nombre d’ouvrages inédits… Grâce au grand-duc de Toscane, je vous laisse aussi ce qui est nécessaire pour les faire imprimer… Je vous recommande que cela se fasse au plus tôt, pour la gloire du Tout-Puissant et la célébration de son culte. » Ces dernières paroles sont bien dignes du musicien sublime qui le premier a su donner une forme à la prière et à la poésie du culte catholique, et qui, par sa merveilleuse création de la messe dite du pape Marcel, a sauvé la musique religieuse.

Deux genres de musique ont existé simultanément pendant tout le moyen âge : le chant liturgique, formé tour à tour par saint Ambroise et saint Grégoire, et les chansons populaires, d’abord accompagnées de paroles latines, puis alliées aux premiers accens des dialectes modernes. Construit avec des fragmens de mélodies antiques et d’après des ressouvenirs du système musical des Grecs, dont il était une simplification, le plain-chant ecclésiastique était purement diatonique, et n’avait d’autre mesure que ce rhythme vague qui est inhérent à la prosodie, et qu’on devine plus qu’on ne l’apprend. Au contraire, les chansons populaires qui circulaient librement dans la foule, dont elles exprimaient les sentimens, étaient non-seulement empreintes d’un rhythme plus fortement accusé que la mélopée religieuse, mais elles avaient aussi une tournure mélodique qui les rapproche beaucoup de la musique moderne. Ces deux formes musicales, qui étaient la manifestation des deux grands élémens dont se composait la société du moyen âge, l’église et l’esprit séculier, se trouvèrent presque toujours en contact, et le peuple grossier, imbu de souvenirs et de chants contemporains, les introduisit forcément dans le temple, où ils altérèrent le caractère esthétique et la constitution matérielle du plain-chant grégorien. Lorsque l’harmonie vint soumettre à ses procédés de mesure rigoureuse le chant de l’église et les mélodies populaires, la confusion des deux genres de musique devint si grande, qu’on eut de la peine à reconnaître sous ce fracas de sons, de contre-points et de gorgheggi la gravité traditionnelle du chant liturgique. Les paroles les plus obscènes des chansons populaires retentissaient dans l’église, et servaient d’épigraphe aux messes que composaient laborieusement sur ces thèmes inouïs les musiciens flamands. C’est en vain que les conciles s’occupèrent incessamment de ce grave sujet de discipline, c’est en vain que le pape Jean XXII publia en 1322 sa fameuse décrétale contre les innovations harmoniques qui défiguraient la mélodie grégorienne : le désordre s’accrut chaque jour davantage et se prolongea jusqu’au milieu du XVIe siècle, où le concile de Bâle d’abord, puis celui de Trente dans sa vingt-deuxième session, flétrirent d’un blâme solennel ce mélange grossier de paroles et de musique profane avec le texte et le chant de l’église. C’est pour obéir à la volonté du concile que le pape Pie IV