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Jésus ont pris au paganisme, qu’ils voulaient renverser, tous les instrumens matériels, toutes les formes plastiques de sa civilisation. Ils n’apportèrent avec eux que l’esprit nouveau, qui a suffi pour changer la face de la société. Que voulaient en effet ces humbles propagateurs de la bonne nouvelle ? Relever la nature humaine de la profonde abjection où la tenait plongée une affreuse inégalité de richesses et de lumières, mettre à la portée de tous la science secrète des docteurs et des patriciens, vulgariser les grandes vérités de l’ordre moral, qui depuis longtemps dépassaient le culte public et l’équité sociale, illuminer l’âme de l’esclave et de l’homme libre, celle du pauvre et du millionnaire, de l’ignorant et du philosophe, d’un même idéal de justice et de beauté. Ces mots de l’Évangile : Sinile parvulos venire ad me, donnent le vrai sens de la mission du christianisme.

Voyez, par exemple, ce que fit saint Ambroise, évêque de Milan, vers l’an 384. Chef spirituel de la population d’une grande ville qui était encore à demi païenne, dont il fallait ménager les habitudes et les vieilles idées, il choisit, parmi les chants religieux du polythéisme, les mélodies les plus populaires et les plus accessibles à l’oreille et à la voix inexpérimentée de la foule : il les appropria au culte du nouveau Dieu en y adaptant des paroles liturgiques. Cette opération, qui a souvent été renouvelée depuis, et que saint Ambroise n’est probablement pas le premier à avoir essayée, amena une simplification du système musical des Grecs. Il se trouva que les mélodies choisies par le saint évêque de Milan pouvaient être contenues dans quatre échelles différentes ayant pour limites les deux notes extrêmes de l’octave, dont la consonnance naturelle affaiblissait, si elle ne l’absorbait entièrement, l’unité artificielle du tétracorde. Ces quatre échelles, qui se caractérisaient par la place qu’occupait le demi-ton dans la série diatonique, furent assimilées aux modes dorien, phrygien, éolien et mixolydien de la musique grecque. Nous savons par saint Augustin, l’ami et le néophyte de l’évêque de Milan, et par d’autres témoignages non moins importans, que les hymnes et les chants consacrés par ce qu’on appelle la réforme de saint Ambroise étaient d’une grande beauté, d’une douceur pénétrante, remplis d’accens et de modulations que leur communiquaient les rhythmes encore intacts de la poésie latine et l’influence toujours puissante de la musique grecque ou orientale, dont ils étaient une imitation, secundum morem orientalium parlium, comme le dit saint Augustin. Une critique supérieure, qui s’appuie moins sur des témoignages historiques toujours plus ou moins contestables que sur la nécessité des choses et les procédés de l’esprit humain, nous prouverait au besoin que saint Ambroise, ou tout autre réformateur du chant ecclésiastique, n’a pu agir autrement, qu’il a dû choisir en