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d’élémens aussi divers. Bertoni, Furlanetto, l’abbé Sabbatini, maître de chapelle de Saint-Antoine de Padoue, Guadagni, Pacchiarotti, Grotto et la Vicentina s’y trouvaient à côté de Canova, Gritti, Buratti, Gozzi, Alfieri, et des plus grands personnages de l’état. La famille Grimani, les Badoer, quelques émigrés français, entre autres le comte de Narbal et M. de Laporte, se faisaient remarquer dans cette assemblée, dont Beata et Lorenzo formaient le lien mystérieux.

Rien n’était changé dans la situation des deux amans. Depuis que le sénateur Zéno avait reconnu Lorenzo comme un membre de sa propre famille, sans trop spécifier le caractère de cette adoption inattendue, le chevalier Sarti était devenu aux yeux de tout le monde une sorte de personnage qui n’en était encore qu’aux premières faveurs de sa fortune. Aussi Lorenzo et Beata se voyaient-ils presque sans contrainte, et savouraient ces délices de l’espérance, qui valent souvent mieux que la possession du bonheur entrevu. Sans avoir échangé entre eux aucune parole significative, ils s’entendaient et n’osaient interrompre ce silence éloquent qu’impose le véritable amour. La veille du jour où devait avoir lieu la grande réunion qui forme le sujet de ce chapitre Beata et Lorenzo avaient dîné ensemble chez les Grimani avec Hélène Badoer. Le soir, ils allèrent au théâtre San-Samuel avec le sénateur Zéno et le chevalier Grimani. On donnait une de ces pièces de la vieille comédie italienne, où l’imagination féerique de l’Orient se combinait avec la peinture des sentimens. Ce genre tout particulier, dans lequel l’improvisation du comédien joue un rôle non moins important que celle du virtuose dans les opéras italiens de la même époque, avait résisté à la réforme de Goldoni, et conservait toujours un grand attrait pour le public vénitien. La pièce était intitulée : Lesbina o la Principessa innamorata, Lesbine ou la Princesse amoureuse, et la scène se passait dans un temps et dans un pays inconnus des historiens et des géographes. C’était l’œuvre d’un imitateur de Charles Gozzi, dont les fiabe charmantes étaient aussi puisées à la grande source des légendes populaires. Lesbina, fille unique d’un roi puissant, s’était éprise d’amour pour Leandro, chevalier accompli, mais pauvre, qui servait dans les gardes de son père. Lorsque les gardés du roi Pamphile, précédés de joyeuses fanfares, passaient à l’heure de midi devant le palais, la princesse était toujours accoudée au balcon de marbre pour voir Leandro, dont le bel uniforme et l’aigrette d’or qui se balançait sur sa tête l’avaient séduite plus encore que sa bravoure éprouvée.

Un jour, Lesbina laissa tomber de son balcon un bouquet des fleurs les plus rares, que Leandro s’empressa de ramasser et de porter à la princesse. Celle-ci détacha une fleur de ce bouquet, et l’offrit au