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n’est pas de la politique, et qu’il ne s’agit que de galanterie ! C’est fort bien, mais les Russes connaissent tous nos mouvemens. »

Malgré toutes ces objections, le serdar se décida à faire partir Sadyk-Pacha avec une partie de l’avant-garde commandée par Ahmed-Pacha, qui se tenait à Ibraïla, et il lui ordonna de prendre position sur le Sereth, à Maximéni, village traversé par cette rivière, et d’où Omer-Pacha avait l’intention de faire des pointes le long du Pruth. Sadyk-Pacha, et après lui Ahmed-Pacha, rencontrèrent pour leurs mouvemens les plus grands obstacles de la part du commandant militaire autrichien, baron Augustini, et la plus curieuse des correspondances fut échangée à cette occasion. Dans une de ses lettres, le général Augustini défend formellement à Sadyk-Pacha d’envoyer des soldats turcs à Galatz. De son côté, le général Coronini semait d’entraves et de difficultés les mouvemens d’Omer-Pacha, qui s’en plaignait amèrement, mais qui au fond était bien aise, on peut le soupçonner, de se voir hors d’état de faire la diversion qu’on lui demandait. On eut recours à Vienne. Là on déclara que le cabinet autrichien ne s’opposait nullement à la marche d’Omer-Pacha : on fit mieux, on lui traça de Vienne même la route qu’il devait suivre, et on lui enjoignit de prévenir de ses mouvemens le commandant en chef autrichien. Omer-Pacha, avec tous les dehors de la plus vive contrariété, prouva très bien, d’après le sentiment des officiers européens qui l’entouraient, que la route qu’on lui assignait était matériellement impraticable. « Ce qu’on me demande, ajoutait-il, est contraire à toutes les lois de la guerre. Quelque honorable que soit le caractère du comte Coronini, il dit bien haut que son pays n’est point en guerre avec la Russie, que tant que les Autrichiens occuperont les principautés, la guerre est impossible dans le centre de l’Europe ; il est en correspondance suivie avec le prince Gortchakof, il le dit très nettement. Comment puis-je mettre ce général en chef dans la confidence de mes vues et de mes desseins ? »

Le serdar comprenait que les Autrichiens ne voulaient permettre à aucun prix une collision entre les Turcs et les Russes sur le Pruth, parce qu’ils ne voulaient à aucun prix être entraînés dans la guerre. M. de Bruck, peu habitué à cacher sa pensée, disait dans le même temps à Constantinople que, tant qu’il aurait l’honneur d’y représenter son pays, pas un seul Turc ne pourrait marcher vers le Pruth. Sur ces entrefaites, et pendant le vif des discussions entre le serdar et le comte Coronini, le traité du 2 décembre 1854 fut signé à Vienne, et une de ses premières conséquences fut le départ du serdar avec la plus grande partie de ses forces. Omer-Pacha quittait les bords du Danube pour la Crimée, et c’est un théâtre où le plan de ces études nous défend de le suivre.


EUGENE POUJADE.