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régulièrement payés par des émissaires qui se tiendraient en Italie, à Naples, à Livourne, à Florence ;

« 4° L’empereur Nicolas devait enfin se résoudre à abandonner le rôle de monarque conservateur qu’il jouait depuis tant d’années avec éclat, et se servir, pour lutter contre la coalition, des idées libérales et même des aspirations populaires. »

Tel est le résumé de ce mémoire, qui, à peine connu de l’empereur Nicolas, devint le véritable programme de la politique russe ; du moins les événemens autorisèrent à le penser. La levée du siège de Silistrie fut décidée, comme celle du siège de Kalafat l’avait été peu de temps auparavant, par des raisons plus politiques que stratégiques. Dans la nuit du 20 au 21 juin, l’armée russe abandonna le siège au moment où la place ne pouvait plus résister, suivant le témoignage d’officiers dignes de foi, et repassa le Danube à Kalarache. De ce jour commença l’évacuation des principautés. On peut dire sans exagération que les Russes ont eu devant Silistrie près de trente mille hommes hors de combat. La vue de leurs immenses travaux et de leurs camps retranchés semblait faire croire qu’avant d’avoir pris la résolution de ne faire qu’une guerre défensive en Europe, l’empereur Nicolas avait voulu d’abord que le maréchal Paskiévitch acceptât devant Silistrie la bataille que les alliés se préparaient à venir lui offrir ; mais l’Autriche, inquiète de voir le théâtre de la guerre se rapprocher de ses frontières, donna habilement un autre cours aux événemens, en obtenant de la Porte la signature d’une convention qui la substituait à la Russie dans l’occupation des provinces danubiennes. La levée du siège de Silistrie mit fin à une suite de combats sanglans entrecoupés de courtes trêves, pendant lesquelles les soldats russes et les soldats turcs échangèrent des procédés d’une courtoisie toute chevaleresque. Les Turcs manquaient de pain, les Russes leur en jetaient par-dessus les tranchées, et en retour les Turcs leur faisaient passer du tabac. Ils étaient quelquefois si près les uns des autres, qu’ils pouvaient se parler ; mais, loin de se provoquer à la façon des héros d’Homère, ils s’exprimaient leur mutuelle admiration pour la vigueur de l’attaque et l’héroïsme de la défense.

Rendu plus hardi par l’arrivée des alliés et par le départ précipité des Russes, le serdar occupa avec toute son armée Silistrie, Turtukaï et Routschouk. Il se décida ensuite à passer le Danube et à occuper les principautés, espérant par la prévenir les Autrichiens et rendre inutile l’exécution de la convention du 14 juin. Il ordonna à Hassan-Pacha, qui était à Routschouk avec vingt mille hommes, de passer le Danube et de s’emparer de Giurgevo. Hassan-Pacha voulut d’abord prendre position sur la grande île de Ramadan, située en face de Routschouk, et reliée à la rive valaque par deux ponts