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longs yatagans, montrèrent une audace féroce. Après un combat d’un quart d’heure, les Russes battirent en retraite, laissant près de quatre mille morts devant Arab-Tabia et emportant un nombre égal de blessés dans leur camp. Le général Selvan fut tué, les généraux Orlof-Denizof et Schilder grièvement blessés, et le dernier ne tarda pas à mourir de ses blessures. Quelques jours après ce mémorable fait d’armes, le maréchal Paskiévitch quitta le camp de Silistrie, et un éclat d’obus vint enlever aux Turcs leur brave chef Moussa-Pacha. Les Russes, qui dans la campagne de 1828-29 s’étaient fait ouvrir plus d’une ville avec la clé d’or, avaient vainement cherché à gagner Moussa-Pacha, dont l’incorruptibilité égalait le courage, et qui mourut pauvre, gardant jusqu’à la dernière heure la stoïque résignation qui pour les musulmans remplace, dans les épreuves suprêmes de la vie, l’aiguillon et l’amour de la gloire.

Le prince Gortchakof, resté seul à la tête des Russes, prit le parti de faire cerner Silistrie du côté de l’ouest, et donna l’ordre aux dix-huit bataillons qui se trouvaient à Oltenitza de passer le Danube et de se réunir à Turtukaï. Les premières troupes françaises, composant la division du général Canrobert, commençaient d’arriver, et Omer-Pacha résolut de porter secours à la garnison de Silistrie. Cinq mille hommes, escortant une quantité considérable de vivres, parvinrent à se frayer un passage à travers l’avant-garde et à pénétrer dans la ville assiégée. Sadyk-Pacha, avec trois brigades d’infanterie et quelques régimens de cavalerie, harcelait l’avant-garde russe. Les cosaques ottomans insultaient constamment les avant-postes russes et y répandaient l’alarme. Le serdar sortit lui-même le 4 juin de Choumla, et se mit en marche vers Silistrie ; mais, toujours fidèle à son système de prudence et de temporisation, que justifiait d’ailleurs dans ces conjonctures la supériorité des forces russes, il s’arrêtait après avoir fait cinq lieues, et faisait élever des camps retranchés garnis de batteries, afin de donner le temps d’arriver aux troupes qui étaient à Kalafat, et dont il avait rappelé la plus grande partie depuis que les Russes avaient renoncé à s’emparer de cette place. De son côté, après le premier échec de l’armée russe devant Silistrie, le maréchal Paskiévitch avait ordonné au général Liprandi d’évacuer complètement la Petite-Valachie, et de venir renforcer le camp de Kalarache. Le général Liprandi, avant d’évacuer la Petite-Valachie, organisa le désordre en forçant toutes les autorités valaques à quitter leurs postes et à le suivre à Bucharest ; il voulait priver les Turcs, qui allaient entrer dans cette province après lui, du concours des autorités constituées, qui en général s’étaient montrées peu sympathiques aux Russes. L’armée turque occupa Craïova presque aussitôt après le départ de l’armée russe, Liprandi fut le dernier général russe qui repassa le Pruth. Il était encore en Moldavie quand les