Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bachi-bouzouks, qui n’attendaient que l’invasion russe pour se livrer à leur instinct de rapine. Les villages furent pillés et saccagés, les habitans furent massacrés sans distinction de sexe ni d’âge. Les musulmans eux-mêmes n’épargnaient pas leurs coreligionnaires fuyant devant l’invasion ennemie. Dans l’espace de dix jours, la Dobroudja tout entière et la Bulgarie occidentale, en y comprenant la ville de Bajarzik, furent complètement dévastées.

La Dobroudja est cette contrée marécageuse qui s’étend entre le Danube et la Mer-Noire. Elle est semée de lacs, mais aucune rivière un peu considérable n’arrose cette vaste plaine, et les eaux, ne trouvant pas à s’écouler vers la mer, deviennent stagnantes, et répandent dans l’air au printemps des exhalaisons pestilentielles. L’aide-de-camp général Lüders, qui avait reçu l’ordre de se rendre devant Silistrie après avoir expulsé les Turcs de la Dobroudja, commit l’imprudence de s’arrêter avec son armée dans cette contrée malsaine pendant deux semaines. Cette imprudence lui coûta cher : près de dix mille hommes furent obligés d’entrer dans les hôpitaux. Enfin il se mit en marche en côtoyant le Danube, et suivi de la flottille russe, qui remonta ce fleuve en même temps que son corps d’armée, auquel elle rendit de grands services. De son côté, le général turc commit une grande faute au commencement de la guerre, en négligeant d’établir une place forte à Isaktcha, point de la plus haute importance dans le Bas-Danube, placé au confluent de ce fleuve et du Pruth, et qui pourrait jouer le même rôle que la forteresse de Modlin, au confluent de la Naref et de la Vistule. Si la Russie n’abandonnait ni Reni ni Ismaïl, la construction d’une grande forteresse à Isaktcha serait la meilleure manière de neutraliser à l’avenir l’action russe dans le Bas-Danube. Au moyen d’une forte artillerie à Isaktcha, les Turcs auraient pu rendre à peu près nulle la coopération de la flottille russe du Danube.

Avant de prendre position devant Silistrie, l’armée de l’aide-de-camp général Lüders s’arrêta à deux lieues de la place. On commença aussitôt à jeter des ponts pour passer le Danube entre Kalarache et Silistrie. Le bord du Danube sur lequel est située cette dernière ville est plat, et une enceinte de murailles assez faible la défend ; mais derrière Silistrie, à une distance d’une demi-lieue environ, est bâtie, sur le monticule le plus élevé de la petite chaîne de collines qui domine ses murs, la citadelle de Medjidié, armée de quarante pièces d’artillerie. Dès le commencement de la guerre, un officier prussien qui était depuis longtemps au service de la Turquie, le colonel Grach, fit élever autour de Silistrie une couronne de batteries en terre (tabia). Dans l’hiver de 1853, Omer-Pacha, étant venu visiter les travaux exécutés à Silistrie, fit remarquer au colonel Grach un point plus avancé que la ligne des ouvrages en terre récemment construits,