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lui envoyer des renforts dans les principautés. Lui-même, il se porta avec quarante mille hommes, qu’il avait réunis de divers points, et dont les pluies torrentielles avaient retardé la marche, sur Oltenitza, afin d’attaquer de nouveau les Turcs ; mais il se contenta d’observer leurs mouvemens. Le 12 novembre, Omer-Pacha, voyant que le Danube grossissait, ramena ses troupes des positions qu’elles occupaient, et les fit repasser sur la rive droite. On fit ensuite par ses ordres une descente dans l’île de Mokan, située à une demi-lieue en aval de Giurgevo, et qui devint pendant tout l’hiver le théâtre de continuelles escarmouches.


III

Pendant qu’Omer-Pacha absorbait l’attention du prince Gortchakof par son coup de main hardi sur Oltenitza, Ismaïl-Pacha passait sans aucun obstacle de Widdin à Kalafat et s’y établissait. La campagne, ainsi commencée, promettait d’être rude, et il importait aux Russes d’avoir entre leurs mains les rênes de l’administration des principautés. Déjà quelques mesures avaient préparé, à Bucharest comme à Jassy, l’installation d’un nouveau pouvoir. Il fallut procéder sans plus de retard à cette installation. En ordonnant aux hospodars, le 15 juin 1853, de suspendre le paiement du tribut à la Porte, la Russie n’ignorait certainement pas les conséquences de la conduite qu’elle leur imposait. Sans que la Russie désirât l’éloignement immédiat des hospodars, elle ne pouvait se dissimuler qu’il était de son intérêt de faire dans les principautés ce qu’elle avait fait en 1806, lorsqu’elle avait retiré le pouvoir au prince Ypsilanti, qui lui était cependant tout dévoué, et en 1828, lorsque l’hospodar Grégoire Ghika s’était retiré devant l’armée d’occupation. Néanmoins la Russie voulait éviter l’initiative d’une pareille mesure, odieuse de la part d’un gouvernement protecteur : elle voulait que la Porte-Ottomane fût amenée à se prononcer la première au nom de son autorité méconnue. Fidèle à ses instructions, le prince Gortchakof souleva pour le prince Stirbey un des coins du voile qui couvrait les projets de la cour protectrice. L’hospodar, mis en demeure de provoquer sa destitution par une résistance ouverte à la Porte, voulut un ordre écrit, et mit en œuvre pour l’obtenir toutes les finesses de la diplomatie. Les agens russes refusèrent d’engager ainsi leur gouvernement, et on vit alors l’hospodar les menacer de partir, non pour satisfaire la Russie, mais pour donner un témoignage d’obéissance à la Porte. Il résolut ensuite de porter la question devant le gouvernement russe lui-même. Il présenta au consul-général de Russie une lettre adressée au comte de Nesselrode et