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— J’ai cru bien faire.

— Vous avez eu tort.

Mlle  du Rosier se rassit ; mais la colère de Mme  de Fougerolles était éveillée. Ses doigts maigres suivaient les colonnes de chiffres ; elle grondait sourdement à chaque addition.

— C’est intolérable, s’écria-t-elle enfin ; quatre-vingts francs de bougies ! quatre-vingts francs pour une soirée ! Qu’avez-vous donc allumé, bon Dieu ?

— Mais tout, madame, les girandoles et les lustres.

— Qui vous en avait priée !…

— Mais c’est l’usage.

— L’usage est un sot ! Vous n’allez pas m’apprendre ce qu’il faut faire, j’imagine ?… Mais tout va comme ça dans la maison, tout est sens dessus dessous… C’est un affreux désordre, un gaspillage abominable. Le proverbe a raison : Bon sang ne peut mentir ! À cette insulte, qui lui rappelait à la fois et son père et sa ruine, le visage de Mlle  du Rosier se contracta, et ses yeux s’animèrent d’un feu sombre ; mais Mme  de Fougerolles était aveuglée par la colère : elle supputait les chiffres un à un, et récriminait sur tout. Alexandrine avait repris son ouvrage de couture et se taisait. Lorsque ce flot de paroles se fut apaisé :

— Combien estimez-vous, madame, que j’aie dépensé en sus de ce qui était strictement nécessaire ? dit-elle en relevant la tête.

— Eh ! mais, si je voulais me donner la peine de compter, il y aurait bien en tout une centaine de francs… Et encore je ne parle que de ce qui saute aux yeux !

— C’est donc cent francs que je vous dois ?

— Que vous me devez ! Le verbe est plaisant, et avec quoi, s’il vous plaît, prétendez-vous me payer ?

— Avec mes gages.

— Vos gages !

Mme  de Fougerolles regarda Mlle  du Rosier avec des yeux pleins tout ensemble de surprise et de colère.

— Permettez, madame, reprit Alexandrine ; n’est-il pas vrai que vous donniez cent francs par mois à Mme  Ledoux pour tenir votre maison ? J’en ai trouvé la marque dans vos livres.

— C’est vrai.

— Or je remplace Mme  Ledoux. Mme  Ledoux avait cent francs par mois ; mais, étant la fille de votre sœur, vous ne me devez que la moitié des gages qu’elle recevait. C’est le bénéfice de la parenté, et je vous le laisse. Cinquante francs par mois pendant six mois, cela fait cent écus. Vous retiendrez cent francs que je vous dois, et me remettrez deux cents francs que j’ai gagnés. Il ne m’en faudra pas tant pour retourner à Moulins.