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d’elle, Alexandrine mesurait l’étendue de la perte qu’elle avait faite ; mais elle n’en était pas abattue, et comme son père l’avait prévu, elle se roidissait contre le malheur.

Après la secousse qui avait déraciné de son cœur le souvenir de M. de Mauvezin, cet isolement ne déplaisait pas à Mlle du Rosier. Il lui donnait le temps de rassembler ses forces et de les éprouver avant la lutte qu’elle aurait à soutenir contre la vie. Elle se sondait elle-même en quelque sorte et cherchait à voir clair dans l’avenir. Quelques mots de sa tante lui avaient fait mieux comprendre la portée de l’exclamation arrachée à Évariste par la nouvelle qu’elle se retirait auprès de Mme de Fougerolles. Elle prévoyait de ce côté-là des mécomptes et des chagrins ; mais elle s’y résignait, et trouvait, en les attendant, un charme singulier à se promener seule sous les beaux ombrages de La Bertoche et à regarder le soir la campagne du haut de son balcon. Un incident la tira de cette léthargie.

Un matin, on remit à une certaine Mme Ledoux, qui avait le gouvernement du château sous la haute direction de Mme de Fougerolles, une note d’objets de parfumerie que Mlle du Rosier avait pris chez un marchand de la ville. Élevée dans une grande recherche, Alexandrine avait l’habitude de ces petites nécessités de la vie élégante ; elle ne croyait pas que la ruine fût un motif d’y renoncer. Mme Ledoux, qui n’avait point reçu d’ordre, hésita et finit par présenter cette note à Mme de Fougerolles. Au premier coup d’œil, la baronne laissa voir toute son indignation.

— Cinquante francs ! s’écria-t-elle… voyez donc cette mijaurée !… Ça n’a pas le sou et ça dépense en pots de pommade et en eaux de senteur plus que moi en mouchoirs de toile et en bas de coton !…

— Mademoiselle est si jeune ! À son âge, on ne pense guère, répondit timidement Mme Ledoux, à qui la situation de Mlle du Rosier inspirait une grande pitié.

— Si jeune !… À vingt ans, je tenais mon ménage, et Dieu merci, on n’y voyait pas des notes de cette espèce !… ne payez pas !…

— Alors que faut-il que je fasse ? demanda Mme Ledoux.

— Vous remettrez cette note à Mlle du Rosier, et elle s’en arrangera comme elle voudra ; c’est bien assez déjà de l’héberger sans que j’aie encore à payer ses dettes !…Mais non, donnez-la-moi… je lui en parlerai.

Et Mme de Fougerolles arracha le papier des mains de Mme Ledoux, qui se retira toute troublée.

Alexandrine, qui ne se doutait de rien, rentra à l’heure du dîner d’une promenade qu’elle avait faite dans le parc. Mme Ledoux, qui l’attendait dans la cour, l’arrêta tout aussitôt qu’elle la vit.

— Si Mme la baronne vous parle d’une petite note de parfumeries,