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de se rendre dans ses terres, elle s’arrêtait à Moulins, où M. du Rosier lui offrait une hospitalité d’autant plus agréable qu’elle était moins coûteuse. Elle y prolongeait son séjour indéfiniment et s’y montrait fort accommodante, n’ayant rien à dépenser ; mais généralement, et à moins de circonstances extraordinaires, au temps des vendanges elle s’établissait à La Bertoche, où deux ou trois fois déjà Mlle  du Rosier avait accompagné sa tante avant le triste événement qui l’y ramenait.

La Bertoche avait dans ses fortes constructions, qui dataient du xive siècle, quelque chose de la magnificence féodale et guerrière de ses voisins les châteaux de Grossouvre et d’Apremont, qui sont l’orgueil des coteaux de l’Allier. D’épaisses murailles, protégées par une énorme tour à mâchicoulis et entourées de douves, l’enfermaient de toutes parts. Le château portait dans ses flancs un vieux boulet envoyé par les canons de l’Anglais du temps des guerres de la Pucelle. L’Allier coulait au pied de la colline sur laquelle il était assis, et d’où la vue s’étendait au loin sur des plaines et des forêts au milieu desquelles le regard aimait à suivre le cours lumineux de la rivière. La portion du château habitée par la baronne faisait face à une large cour et se composait d’un pavillon carré avec deux ailes en retrait élevées d’un étage sur rez-de-chaussée ; un grand cadran, armé de longues aiguilles rouillées, marquait les heures au-dessus de la porte d’entrée. Les bâtimens construits sur les côtés de la cour servaient de logemens aux gens de service, d’écuries, de granges et de remises ; on avait fait une étable de la chapelle.

La chambre que Mlle  du Rosier avait occupée déjà, et vers laquelle elle se dirigea aussitôt qu’elle fut arrivée à La Bertoche, était située à l’extrémité d’une aile et donnait sur la vallée ; un balcon de pierre en saillie lui permettait de voir une vaste étendue de pays. Cette chambre était grande et tendue d’une vieille tapisserie de Flandre à personnages ; un lit à baldaquin en occupait l’un des coins en face de la fenêtre. Alexandrine employa sa première journée à ranger les petits meubles qu’elle avait apportés de Moulins, ainsi que ses livres de prédilection. Deux ou trois fois elle s’arrêta sur le balcon et regarda la campagne, sur laquelle un ciel orageux promenait de grandes ombres. Cette solitude, ce profond silence interrompu par le bruit du vent dans les arbres convenaient à la disposition de son esprit.

Pendant les premiers jours, la vie que Mlle  du Rosier mena au château de La Bertoche fut triste et monotone. On ne voyait personne ; les soirées se passaient dans une grande pièce, où Mme  de Fougerolles recevait ses métayers. Elle faisait un ouvrage de tapisserie, et sa nièce lisait ou brodait. À dix heures, ses comptes réglés, la baronne rentrait dans sa chambre. De l’heure du souper à celle du coucher, on n’avait pas échangé dix paroles. Au silence qui se faisait autour