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clignemens d’yeux et les réticences du vieux notaire, et pendant huit jours il ne fut pas question d’autre chose dans tout l’arrondissement.

L’opinion générale était que M. du Rosier avait été frappé d’une attaque d’apoplexie foudroyante ; mais quelques personnes, et le notaire à leur tête, semblaient croire qu’une autre cause avait précipité cette fin tragique.

— Apoplexie ! apoplexie ! c’est bientôt dit, murmurait-il ; elle a bon dos, l’apoplexie, et bien lui prend d’être muette. — Le reste de la phrase se perdait dans les plis de sa cravate blanche.

On s’occupait beaucoup aussi de l’avenir de Mlle  du Rosier et de sa sœur Louise. Élevées dans un si grand luxe, comment supporteraient-elles la privation des choses auxquelles elles étaient le plus habituées ? À quoi allaient-elles se décider ? Puis, quand on venait à parler de ce fameux mariage qui avait si longtemps fait jaser les curieux, les plus malins souriaient : — Adieu paniers, vendanges sont faites, disaient-ils.

Pendant les deux ou trois premiers jours, Mlle  du Rosier resta comme étourdie, et plus occupée des soins qu’il fallait apporter à toutes choses que de son chagrin. Le peu de temps qui lui restait, elle l’employait à consoler Louise. Elle éprouvait seulement une certaine surprise de ne pas avoir reçu la visite de M. de Mauvezin ; mais elle attribuait cette absence à la délicatesse d’un cœur qui ne veut pas mêler d’autres pensées à celles de la mort. Elle se montrait d’ailleurs pleine de fermeté et faisait tête à la douleur. Que devint-elle lorsque le quatrième jour elle reçut une lettre par laquelle M. de Mauvezin lui mandait qu’une affaire urgente le forçait à partir pour la campagne sans qu’il pût fixer encore l’époque de son retour ! Il l’assurait d’ailleurs de son entier dévouement et de la part sincère qu’il prenait à son malheur.

À la lecture de cette lettre, Mlle  du Rosier éprouva moins de douleur que d’indignation. La colère, la honte, le dégoût, le mépris se partageaient son cœur. — Et j’ai pu l’aimer ! se disait-elle. À ce souvenir, son visage passait de la pâleur au pourpre. L’amour était mort sur le coup. Il n’en restait plus qu’un sentiment confus de rage et de haine qui faisait bouillonner son sang.

— Le lâche ! dit-elle. S’il ne m’avait pas écrit, c’eût été une trahison… ; mais cette lettre, c’est une bêtise et une insolence !

Par un mouvement vif, elle la déchira ; mais au moment d’en jeter les morceaux, elle s’arrêta et les replaça dans leur enveloppe.

— Non, murmura-t-elle, non, je veux la relire pour ne lui pardonner jamais !

Pour la première fois, Mlle  du Rosier jeta sur son avenir un regard profond. Elle restait orpheline et sans dot, et n’avait plus pour appui que Mme  de Fougerolles, dont la tendresse n’était pas excessive. Son