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ture morale et le genre de leurs inventions, leur manière d’envisager les choses du présent ou de l’histoire ? Bizarres problèmes, que l’esprit d’analyse résout en rapprochant l’homme, l’œuvre et le temps ! La première condition pour le talent véritable, c’est qu’on sente en lui la vie et l’originalité. M. Michelet a ce rare mérite, et il vient de le prouver encore dans ces deux livres de sujets si différens, quoiqu’ils se ressemblent au fond, — l’un, qui est un nouveau volume sur l’histoire de France et qui traite des guerres de religion, l’autre qui est une monographie de l’oiseau, résumée dans ce mot pris pour épigraphe : Des ailes ! des ailes ! Rien ne serait plus difficile à saisir que cet esprit impressionnable et ardent qui ressemble parfois à une flamme errante au milieu des ruines du passé ; c’est une nature maladive et nerveuse, spirituelle et facile à émouvoir, fine et violente : c’est un mélange de bénédictin et de poétique humoriste. Il y a un point où depuis longtemps M. Michelet a presque perdu tout équilibre de jugement : c’est quand il touche aux choses religieuses et aux choses de la révolution. De là vient indifférence qui existe entre ses premiers volumes sur l’histoire de France et ses dernières études sur la réforme, sur la renaissance, qui ont précédé de peu le tableau des guerres de religion. Une fois arrivé à ce point du catholicisme et de la révolution, M. Michelet part visiblement effaré et se lance dans les espaces indéfinis. M. Michelet n’est point évidemment un historien véritable, la sévérité et l’impartialité lui manquent trop : il a une histoire à lui, qu’il anime de son esprit, qu’il peint de ses couleurs. Il sait beaucoup, cela n’est point douteux ; seulement il fait l’histoire moins avec ce qu’il sait qu’avec ce qu’il devine ou ce qu’il suppose. Qu’on ouvre son dernier volume : il serait certes difficile en le lisant de se faire une idée exacte du XVIe siècle. On entrevoit à peine la suite des événemens, trop souvent pliés à tous les caprices de l’imagination ; les dates se pressent et se confondent. L’auteur se laisse emporter par la passion jusqu’à mêler les temps, les choses et les hommes, et à créer des analogies fort imprévues. Que reste-t-il donc dans ce livre comme élément d’intérêt ? Il y a évidemment un instinct profond du caractère général de ce siècle agité ; il y a des vues piquantes, de lumineuses échappées. Les portraits minutieux et tout personnels que prodigue l’auteur sont ressemblans comme ressemblent les pittoresques exagérations tracées par un esprit supérieur qui se joue en ses caprices. M. Michelet aime les duels gigantesques. Il ne voit dans le XVIe siècle en France et en Europe que deux personnages, deux adversaires, l’Espagne et le protestantisme, l’intrigue espagnole et la réforme. Il y avait cependant un troisième personnage qui demandait à prendre sa place : c’est l’esprit français lui-même. L’auteur semble croire qu’il n’y avait nulle place pour cet esprit dans la lutte, il n’existait sans doute d’abord qu’à l’état latent et diffus pour ainsi dire ; mais il existait, et quand il est parvenu à se dégager, il s’est personnifié dans un homme, dans le roi de Navarre, dans Henri IV, qui ne parait point devoir être le héros du peintre assez hardi et singulièrement imprévu des Guises, de Loyola et de sainte Thérèse.

Tel M. Michelet apparaît dans ses récits, tel il apparaît encore dans son livre de l’Oiseau. Est-ce dans ses reproductions des événemens du passé que l’auteur est véritablement historien ? n’est-ce pas plutôt dans cette étude gracieuse et sympathique sur un des êtres les plus charmans de la créa-