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bien qu’elle n’ait peut-être pas été jusqu’au bout à la hauteur de ses espérances. Il n’en était pas ainsi du cabinet de Berlin. La Prusse ne pouvait donc intervenir que comme puissance européenne ayant participé à la convention des détroits de 1841. Or, la modification de ce traité n’étant qu’un des élémens d’une négociation qui embrassait bien d’autres intérêts, il devait en résulter que lorsque la Prusse a été appelée au congrès, la plupart des questions étaient nécessairement résolues. C’est ce qui a eu lieu en effet, et la difficulté parait avoir consisté à déterminer le degré, de participation des plénipotentiaires prussiens. N’importe, la Prusse n’a pas moins signé, elle aussi, la grande transaction ; elle y aura travaillé, sinon d’un conseil actif et de l’épée, du moins de tous ses désirs, — désirs ardens et sincères en proportion même de l’intérêt qu’elle avait à ne point voir la guerre s’étendre, se prolonger et l’environner de ses feux. C’est à la lumière de cette paix nouvelle qu’apparaîtront maintenant les conséquences véritables de la politique suivie par chaque puissance, les élémens réels d’une situation générale qui tend à se transformer.

Que deviendra cette situation ? Quelle sera l’influence des derniers événemens sur le système des alliances, sur les rapports des divers états de l’Europe ? Les termes de la paix ne sont point encore connus. On pressent à peine ce point de départ nouveau. Il semble du moins que la Russie, après avoir pris sa grande résolution, a complètement accepté les conséquences de la politique que les circonstances lui ont faite plutôt qu’elle ne l’a choisie. S’il est permis de juger d’après de simples apparences, on pourrait dire que la Russie, dans ces derniers temps, s’est montrée volontiers disposée à se rapprocher de la France, en prenant une attitude de plus en plus réservée vis-à-vis de l’Autriche, et il n’est point impossible que ces dispositions ne se soient fait jour par intervalle dans les négociations qui viennent de finir. La Russie, on peut le soupçonner, sort des complications actuelles avec une illusion de moins et un ressentiment de plus. C’est peut-être la conclusion la plus claire d’une brochure qui paraissait récemment en Belgique sous ce titre : l’Autriche et l’Allemagne dans la question d’Orient. Ces pages sont évidemment l’expression d’une pensée russe. L’auteur semble initié à plus d’un mystère de la diplomatie, à plus d’une particularité des rapports qui ont existé entre les cours du Nord. Il écrivait quelques jours à peine avant la fin des négociations, c’est-à-dire dans le moment où la Russie était décidée sérieusement à la paix, mais où la paix n’était point faite encore. Que l’auteur de la brochure juge au point de vue de la Russie l’origine de la guerre, qu’il soit un peu porté à sourire de la France prodiguant ses soldats et ses trésors pour servir un intérêt anglais, ce sont là des thèmes usés désormais ; en définitive, si entre la France et l’Angleterre il y a eu partage d’efforts dans la lutte, il y au moins aujourd’hui partage de gloire.

Ce qui est le plus curieux dans ces pages, c’est l’analyse pénétrante, implacable de tous les actes, de toute la politique de l’Autriche depuis trois années. L’Autriche est visiblement le point de mire, ou, si l’on veut, le héros de l’écrivain russe. D’un trait trop ironique pour n’être pas secrètement passionné, et trop direct pour ne pas partir d’une main intéressée, il la représente jouant merveilleusement son rôle, se servant de la menace d’une invasion française pour intimider l’Allemagne et la rattacher à sa politique,