Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

selle. Aussi bien, quelques difficultés intérieures qu’on ait pu soupçonner ou entrevoir à travers le mystère des négociations, on n’avait point sérieusement douté d’une solution pacifique depuis l’ouverture du congrès.

D’où pouvaient venir en effet les obstacles graves, insurmontables ? De la Russie, sans doute ; mais dès que la Russie, après le degré de résistance nécessaire à son honneur, avait accepté sans restriction et sans réserve ce qu’on a nommé les propositions autrichiennes, c’est qu’évidemment elle avait reconnu l’impossibilité de prolonger la lutte. Elle avait mesuré de l’œil cette coalition grandissante qui la menaçait ; elle avait vu l’Autriche, sinon très hardiment belliqueuse, du moins très politiquement hostile, l’Allemagne se débattant dans une neutralité qui pouvait devenir impossible, la Suède prête à prendre les armes, la France et l’Angleterre décidées à renouveler un gigantesque effort dans la Baltique, tous les états inquiets et troublés dans leur sécurité comme dans leurs intérêts. Elle avait vu tout cela, et dès-lors n’était-ce point encore une habileté d’accepter résolument la situation, de ne point reculer devant les sacrifices inévitables, et de se faire un titre de son esprit de conciliation en cherchant dans la paix le principe d’une politique nouvelle ? C’est une pensée de ce genre qui semble avoir dicté les dernières résolutions de l’empereur Alexandre. Le choix même du comte Orlof comme représentant du tsar ne démentait point une telle pensée. Personnage éminent et populaire, fait pour attirer la considération, le premier plénipotentiaire russe pouvait mieux que tout autre d’une main de soldat signer la paix avec dignité, sans abaisser la Russie. On dit au surplus que s’il a dû céder sur les points considérés comme essentiels et irrévocables par la France et l’Angleterre, le comte Orlof n’aurait pas toujours été battu dans ses rencontres avec les plénipotentiaires d’une autre puissance, naguère amie, et qu’il aurait rappelé avec une certaine fierté le peu d’habitude qu’avait la Russie de signer des traités après des défaites. Ce sont là, si l’on veut, les incidens plus ou moins vraisemblables d’une négociation dont l’importance se résume dans son résultat, qui est la paix, — une paix sérieuse et forte dont les termes seront probablement bientôt connus.

La paix, c’est la le grand et unique événement annoncé hier au milieu du jour à la population de Paris par les salves qui annoncent les victoires. En présence du résultat faut-il se demander comment on est arrivé là, quelles péripéties les négociations ont eu à traverser, ce qui peut rester encore à régler comme une conséquence naturelle et pratique des principes qui viennent de prévaloir solennellement ? Les conditions générales de la paix, on les connaît avant de savoir dans quels termes précis elles sont formulées. Ainsi le génie pacifique de l’industrie régnera seul désormais dans la Mer-Noire, affranchie et ouverte à tous les peuples. Les ports, les arsenaux militaires, sans excepter Nicolaïef, seront nécessairement transformés en ports de commerce. À la place d’une lutte inégale, toujours menaçante en Orient, il y a un champ immense de libre et féconde activité. Les événemens de la guerre une fois accomplis, ce n’est pas sans doute ce qui a été le plus dur pour le cabinet de Saint-Pétersbourg. Un des points les plus graves, celui qui paraît avoir tenu le plus au cœur de la Russie, c’est la rectification des frontières de la Bessarabie. Matériellement le sacrifice est médiocre ; moralement, à cette forteresse d’Ismaïl achetée par tant de sang, à ce coin de terre