Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la chambre des députés en matière de protection douanière, et s’il obtint du pouvoir parlementaire quelques concessions, il en fut le plus souvent redevable au parti qu’il avait adopté de conclure avec les pays étrangers des traités de navigation et de commerce, traités dans lesquels étaient naturellement stipulés des dégrèvemens de taxes. Violemment attaqués au point de vue commercial, ces traités étaient défendus à l’aide d’argumens politiques, et l’on voyait alors le principal orateur du cabinet se mettre en frais d’éloquence, remuer les grandes questions de l’équilibre européen, reprendre l’histoire de nos alliances, à propos des fils de lin de la Belgique et des bœufs maigres de la Sardaigne ! C’était le ministre des affaires étrangères, et non le ministre du commerce, qui pratiquait ainsi quelques brèches bien étroites à la grande muraille douanière, et encore sa haute intervention ne suffisait-elle point toujours pour dompter les résistances obstinées que les chefs du parti qui s’était donné la mission de protéger le travail national ameutaient contre toute velléité de réforme.

Dira-t-on que de 1815 à 1845 les assemblées législatives, ne tenant leur pouvoir que d’un nombre restreint d’électeurs, représentaient imparfaitement, quant aux opinions économiques, la masse du pays ? Doit-on croire que derrière ces propriétaires et ces industriels qui formaient la majorité des collèges électoraux et disposaient des sièges législatifs, une foule ardente réclamait la liberté des échanges, et qu’en dehors de l’enceinte du pays légal on célébrait des banquets en l’honneur de la réforme douanière ? Il n’en était rien. Au lendemain de la révolution de 1848, l’association pour la liberté des échanges, se conformant aux mœurs de l’époque, fit, elle aussi, son pèlerinage à l’Hôtel-de-Ville, et l’orateur de la députation, M. Horace Say, ne demanda pour le moment que l’entrée en franchise des denrées alimentaires et des matières nécessaires à l’industrie. Le vœu était modeste et exprimé en termes très mesurés. Le membre du gouvernement provisoire qui était chargé ce jour-là (le 16 mars) de recevoir les visiteurs félicita poliment l’association, qui a avait pour but un très bel idéal ; » mais il déclara que le gouvernement provisoire était peu soucieux d’encourir la responsabilité d’un changement de système au milieu d’une pareille crise, et il fit connaître que les événemens ne permettraient sans doute pas de réaliser de si tôt les espérances des libres échangistes. La crise passée, le gouvernement républicain se garda bien de toucher aux tarifs, et s’il avait tenté la moindre innovation, il eût été bien vite rappelé à l’ordre par les élus du suffrage universel. On se souvient du rejet éclatant de la proposition soumise en 1851 à l’assemblée législative par M. Sainte-Beuve. Ces faits prouvent qu’à toute époque et sous tous les régimes la nation se montra résolument hostile non-seulement au libre-échange théorique, mais encore à une révision profonde des tarifs. Les rares économistes qui s’efforçaient de propager leurs idées de réforme prêchèrent réellement dans le désert j et le peuple de février, qui demandait tant de choses, ne se livra pas à la plus légère démonstration sous le drapeau de la liberté commerciale. Faut-il encore rappeler les susceptibilités ombrageuses que provoqua parmi les industriels la disposition du sénatus-consulte du 25 décembre 1852 qui, attribuant au chef de l’état le droit de conclure des traités avec les puissances étrangères, et de les exécuter sans