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avec ses complications et ses embarras, la législation du dernier siècle. Réformer n’est pas détruire, au moins dans le domaine des intérêts économiques. Il n’est pas besoin de se déclarer libre échangiste pour reconnaître qu’une plus grande liberté dans les échanges est désirable, ni pour prédire que dans un délai plus ou moins long la plupart des barrières de douanes seront abaissées. Ce jour-là, les partisans éclairés de la protection applaudiront au triomphe de leur principe : leur but sera atteint, car la protection, telle qu’ils l’entendent, n’aspire qu’à se rendre inutile, et elle doit disparaître dès que les forces productives créées par elle auront acquis leur plein développement.

Après avoir apprécié le caractère des réformes commerciales qui, pendant les dernières années, ont été opérées en Angleterre et dans les principaux états du continent, il nous reste à examiner quelle est la situation économique de la France et dans quelles voies notre législation est aujourd’hui engagée.


II

En fait de législation douanière, la France est demeurée longtemps fort arriérée. Il y a quatre ans à peine, son tarif ne différait guère de celui qui était en vigueur au commencement du siècle. La plupart des prohibitions et des taxes qui y sont encore inscrites datent d’une époque de révolution et de guerre. Sous l’empire, il fallait à tout prix combattre la fortune de la Grande-Bretagne là où elle semblait le plus vulnérable, et fermer aux marchandises anglaises les marchés européens. Ce fut le système du blocus continental. Plus tard, lorsque le gouvernement de la branche aînée des Bourbons se releva sur les ruines de l’empire, on songea à reconstituer la grande propriété, l’aristocratie territoriale. Le tarif des douanes fut employé à la poursuite de cette chimère. On taxa et on surtaxa les produits agricoles de l’étranger, les céréales, les bestiaux, les laines, dans l’intention de favoriser les propriétaires du sol national et de leur assurer des rentes élevées. En un mot, depuis l’empire jusqu’à la chute de la restauration, le tarif ne fut, à vrai dire, qu’un instrument politique, et l’on peut ajouter qu’il produisit à cet égard des effets absolument opposés à ceux que le gouvernement de l’empire et la restauration avaient en vue. Le blocus, qui ruinait l’Europe autant et même plus que l’Angleterre, détacha peu à peu de notre alliance les peuples du continent. Quant à la prime que la restauration entendait accorder à la grande propriété, on sait ce qu’il en advint. Elle ne profita point à l’aristocratie, et le morcellement du sol, c’est-à-dire la constitution démocratique de la propriété en France, fit de rapides progrès.

Mais en même temps, sous l’influence de cette législation restrictive, de nouveaux intérêts prirent naissance. Le marché de la France est si vaste, et grâce à la paix il était devenu si riche, que la faculté de pourvoir sans concurrence aucune à son approvisionnement devait stimuler à un haut degré l’industrie manufacturière. Le territoire se couvrit de vastes usines, soutenues par de larges capitaux et procurant du travail à un grand nombre de bras. Toutes les classes furent entraînées dans ce mouvement industriel,