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une supériorité incontestable sur les fabriques du continent, — la protection devait naturellement être diminuée d’abord, puis supprimée. Il n’en faut pas moins admirer le discernement et l’esprit de décision que les chefs de la réforme apportèrent à la défense de leur cause. Dans tous les pays, et en Angleterre plus qu’ailleurs, les vieux abus sont difficiles à déraciner, car ils ont pour eux non-seulement le prestige de leur antiquité et la force de l’habitude, mais encore l’opiniâtre résistance qu’opposent aux idées de réforme les intérêts nombreux, riches, puissans, auxquels ils profitent. Cette résistance, on le sait, fut très vive au sein du parlement comme dans le pays. Les propriétaires fonciers, les armateurs, les colons, et même certaines classes d’industriels, ne se laissèrent point arracher sans protestation les privilèges dont ils jouissaient depuis plusieurs siècles, et qu’ils élevaient complaisamment à la hauteur d’institutions nationales. Des ministères furent faits et de faits, des parlemens furent dissous, les partis politiques furent plus d’une fois désorganisés pendant le cours de ce long débat et à cause de ce débat même. Free trade et protection, tels furent les seuls drapeaux qui après 1840 se déployèrent dans les élections, et autour desquels se partagea toute la nation. Le free trade l’a emporté, et son triomphe est définitif. Les élections de 1852 ne laissèrent plus aucun doute au parti protectioniste sur l’opinion bien arrêtée du peuple anglais. Lord Derby et M. Disraeli se résignèrent presque de bonne grâce au fait accompli, et ne songèrent plus à en contrarier le développement. Il serait en effet tout aussi impossible de faire remonter un fleuve vers sa source que de rétablir en Angleterre le régime de protection, et surtout l’ancienne législation sur les céréales. Il y a bien encore sur le continent quelques esprits qui croient à un retour d’opinion vers les idées qui avaient cours avant la réforme, mais assurément ils s’abusent : les Anglais, de quelque parti qu’ils soient, à quelque classe qu’ils appartiennent, considèrent la question comme étant aujourd’hui définitivement jugée. Pendant l’année 1855, la nécessité de faire face aux énormes dépenses de la guerre a amené pour certains articles fort importans, notamment pour le sucre, le café et le thé, l’élévation des droits de douane ; mais cette mesure (acte du 25 mai 1855) n’a été prise qu’à titre provisoire, et, d’après les marchandises auxquelles elle s’applique, on peut se convaincre qu’il s’agit seulement de droits fiscaux, et que les changemens de tarifs ne sont à aucun degré inspirés par une pensée de protection. Il en est de même des taxes considérables qui continuent à frapper l’introduction des vins et spiritueux. Avant la guerre, le parlement était saisi d’une proposition ayant pour objet de les réduire, et il avait fait procéder à une enquête approfondie sur le commerce des produits vinicoles. Nul doute que cette proposition ne soit reprise après la conclusion de la paix. La France est particulièrement intéressée à la révision du tarif, et il y a lieu d’espérer que l’Angleterre n’hésitera plus à lui donner ce nouveau gage d’alliance et de bonne entente, qui profitera aux échanges entre les deux pays.

Les chefs de la réforme se figuraient volontiers que les principes adoptés par l’Angleterre en matière de politique commerciale seraient accueillis par les autres nations, et que le libre-échange allait faire en quelque sorte le tour du monde. M. Cobden visita le continent ; il reçut des économistes de l’école