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de son existence. Que l’on recoure à la photographie pour transporter sur le papier, les œuvres de l’architecture et de la sculpture, les objets d’étude scientifique, et ces menues compositions, ces croquis vulgaires qui servaient de modèles à l’imagerie, — rien de mieux. Il faut admettre sans regret comme sans inquiétude la destitution de la gravure en pareil cas ; mais hors de là point de transaction, point d’innovation admissible. Accepter aux lieu et place des estampes les photographies d’après les tableaux, d’après les dessins et d’après les estampes mêmes, ce ne serait pas seulement répudier certaines traditions, certaines conventions du goût, ce serait aussi perdre toute notion de l’art et sacrifier de gaieté de cœur l’expression de la pensée à la réalité grossière, la forme intelligente à la forme brute. Un tel revirement ne s’accomplira pas, nous l’espérons bien ; seulement nos hésitations présentes peuvent aboutir, pour un temps du moins, à des habitudes mauvaises, et ce danger est assez grave pour qu’il importe de le signaler. Quant aux moyens de le conjurer, le plus sage est de s’en remettre avant tout aux leçons pratiques et au talent, car il n’appartient qu’aux artistes de nous convertir pleinement en opposant aux entraînemens de la foule le meilleur des argumens, — de belles œuvres.

Qu’ils protestent donc de la sorte et au plus tôt contre des erreurs qui menacent de s’accréditer, qu’ils dirigent tous leurs efforts vers ce que la photographie est précisément le plus impuissante à rendre, — l’expression, la physionomie, le style. Le moment est venu pour les graveurs de régénérer l’opinion, et, il faut le dire aussi, l’art, que beaucoup d’entre eux ont laissé s’abâtardir. Aujourd’hui plus que jamais, — puisqu’il s’agit de nous faire sentir les vices de la reproduction mécanique, — ils doivent se tenir en garde contre toute préoccupation excessive de la manœuvre, se défier des recettes et du métier, se montrer en un mot ouvertement artistes au lieu d’être seulement des ouvriers adroits. Les exemples ne leur manqueront pas dans le passé de notre école. Croit-on que si Morin, Gérard Audran, Nanteuil ou Edelinck, réapparaissaient aujourd’hui, ils n’auraient pas raison de la photographie et de ses succès ? Ils sauraient bien la refouler dans ses limites et nous convaincre du peu qu’elle vaut par la comparaison avec leurs savans ouvrages. C’est aux héritiers de ces grands maîtres à faire revivre la tradition, à défendre leur propre domaine, et plus d’un, heureusement, est à la hauteur de la tâche. Sans parler du graveur de l’Hémicycle du Palais des Beaux-Arts, que son mérite exceptionnel place à la tête de l’école contemporaine, ne pourrait-on citer parmi les graveurs de notre pays assez de talens sérieux pour rassurer les esprits craintifs ou donner la foi aux incrédules ? Quelques jolies estampes récemment publiées,