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sans arrière-pensée un peu ambitieuse quelquefois, mais le plus souvent en vue de se procurer un amusement. Aussi ne faut-il voir dans ces occupations, assez innocentes au fond, que le témoignage d’une curiosité passagère et un caprice sans conséquence. Quand la satiété sera venue, quand on aura bien compris qu’après tout, d’autres jeux valent celui-là, on laissera de côté, pour n’y plus songer, la chambre noire, le collodion et l’hyposulfite de soude. L’art ne s’en trouvera ni pis ni mieux, car de telles fantaisies ne suffisent pas pour le mettre en péril, ni de tels reviremens pour le sauver. Ailleurs cependant le danger est plus grave et le succès plus incertain, puisque les artistes eux-mêmes se font les apôtres de la foi nouvelle et n’hésitent pas à réclamer pour elle un respect qui ne lui est pas dû. « La photographie, écrivait récemment M. Ziégler dans une brochure sur laquelle le nom de l’auteur appelle une certaine attention[1], la photographie étant essentiellement un art d’imitation, elle pourrait à ce titre réclamer une place parmi les arts d’imitation, aussi bien que la lithographie et les divers genres de gravure. Ceci n’a pas été admis ; il faut toujours, même en fait d’art, un peu de temps pour la naturalisation d’un étranger ; il faut aussi réserver quelque chose au progrès : plus tard cela se fera. » A Dieu ne plaise que cela se fasse ! Sous prétexte de progrès, on n’arriverait ainsi qu’à une confusion organisée. La photographie n’étant, quoi qu’on en dise, ni un art d’imitation, ni un art d’aucune sorte, puisqu’elle ne peut rien par elle-même, puisqu’elle ne formule rien en dehors du fait, qu’a-t-elle à démêler avec l’expression volontaire et personnelle ? A quel titre entrerait-elle en rivalité avec le talent ? quelle sorte d’idéal est-elle en mesure de nous révéler ? Un poète, si poète descriptif qu’il fût, ne saurait comment s’y prendre pour chanter les produits photographiques, tant la signification en est bornée, tant ils matérialisent la réalité même. Et l’on voudrait assimiler ces images inertes, ces œuvres sans accent et sans portée, aux œuvres qui ont reçu l’empreinte du sentiment, du goût, de la pensée humaine enfin ! Non, la photographie n’est et ne peut être rien de plus qu’un procédé secondaire, très ingénieux en soi, très bon pour renseigner la science et quelquefois l’art lui-même ; mais elle ne doit pas lutter avec lui, encore moins le déposséder du rang qui lui appartient. Il y aura toujours entre l’art et la photographie la distance qui sépare la vérité choisie de l’effigie vulgaire, ou la différence qui existe entre une belle statue et un moule pris sur la nature. Il ne faut donc pas, tout en constatant les progrès actuels et les

  1. Compte-rendu de la Photographie à l’Exposition universelle, par M. J. Ziégler. Dijon 1855.