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entière aux conditions actuelles du procédé, et l’avenir révélera-t-il des secrets qu’on n’a pas su pénétrer encore ? Peut-être. Personne, en tout cas ne serait autorisé à dire que ce progrès semble certain. D’ailleurs la question qu’il s’agit de résoudre n’est pas, comme on pourrait le croire, d’un ordre exclusivement matériel. Que l’objet essentiel soit la reproduction des lignes et de l’effet déterminés par le graveur, rien de plus vrai ; mais il y a dans les œuvres de la gravure comme dans celles de la peinture une expression inhérente à la touche même, un goût d’exécution vivant et personnel qui ne saurait s’isoler du moyen propre sans que cette scission dénature forcément le style. La photographie ; tout en ne procédant pas comme le burin ou comme la pointe, pourra sans doute imiter l’apparence générale des travaux qu’auront exécutés ces instrumens ; elle ne réussira pas à en rendre l’esprit, à s’assimiler la précision savante où la grâce facile qui leur appartiennent.

Il résulte de ce qui précède que, pour copier des estampes, le plus sûr serait encore de recourir aux procédés mêmes de la gravure. Tout dépendra, il est vrai, de l’intelligence et du talent des copistes ; mais pour peu qu’ils soient gens habiles, ils donneront des pièces originales une idée plus juste et plus complète que ne saurait le faire la photographie. On a entrepris, il y a quelques années, de photographier l’œuvre entier de Marc-Antoine. Envisagée comme moyen d’ajouter à la popularité de compositions admirables, une telle entreprise n’a rien que de louable, et l’on a eu occasion ici même d’apprécier les avantages que peut offrir ce surcroît de publicité[1] ; mais l’insuffisance de l’exécution nous laisserait le droit d’être plus sévère, et nous n’hésiterions pas à préférer de beaucoup aux pièces photographiées d’après Marc-Antoine les copies gravées par Marc de Ravenne et Augustin Vénitien. Celles-ci, tout inférieures qu’elles sont aux chefs-d’œuvre qui leur ont servi de modèles, gardent au moins quelque chose du faire net et résolu des estampes originales. Dans celles-là, au contraire, la fermeté du travail se traduit par je ne sais quelle lourdeur de touche, la finesse s’empâte ou disparaît, et, si fidèles qu’elles semblent au premier abord, ces réimpressions prétendues ne sont rien de plus que des esquisses, et, qui pis est, des esquisses sans verve.

On supposera peut-être que la photographie, incapable de rendre à souhait la manière incisive de Marc-Antoine, doit avec plus de succès s’attaquer à d’autres manières et à des maîtres d’un autre ordre. Si l’extrême délicatesse des contours et du modelé échappe à son action, des effets d’ombre et de lumière formulés non plus par

  1. La Gravure française en 1853, livraison du 15 avril 1853.