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qu’il fallait désormais remplir pour être freeman, c’est-à-dire pour jouir des droits de citoyen, pour être électeur, pour être juré. On voit aisément que par cette combinaison le gouvernement était aux mains des ministres, qui, par les examens théologiques et par la censure de la vie, pouvaient éliminer de la cité quiconque leur déplaisait ; aussi plus des trois quarts de la population, selon Hildreth, restaient privés de ces droits si chers à la race saxonne. Ces ministres, qu’on appelait les anciens, « chargés d’administrer la parole de connaissance et la parole de sagesse, » étaient choisis parmi les laïques, « hommes d’âge et d’expérience, chrétiens pieux, et d’un courage de lion lorsque les sages et salutaires doctrines enseignées par le pasteur ou le docteur étaient attaquées par quelqu’un. » Entre eux, tous ces membres de l’église (church-members) étaient égaux et ne souffraient aucune supériorité hiérarchique, pas même les formes presbytériennes ; mais à l’égard des non-membres, ils étaient une aristocratie hautaine et prétendaient à l’obéissance de droit divin. Le baptême et « le sacrement de la cène du Seigneur » étaient un privilège de leur ordre ; les non-membres ni leurs enfans n’y avaient aucun droit. Les magistrats et l’assemblée générale, avec l’avis des anciens, exerçaient un suprême contrôle sur le spirituel et le temporel ; les anciens étaient consultés même sur les choses purement temporelles. Toujours présens pour étendre leur puissance indirecte, toujours en scène, ils ne se contentaient pas de prêcher les dimanches ; ils avaient envahi les jours du travail, et les magistrats furent obligés de modérer leur zèle et de le limiter à un jour pris dans la semaine. « Ainsi Dieu lui-même, s’écrie Bancroft dans un de ses accès d’emphase biblique, gouvernait son peuple et la corporation religieuse. Ces hommes, dont un décret immuable avait écrit les noms de toute éternité pour être les objets de sa prédilection, étaient, par la loi fondamentale, constitués pour être l’oracle de sa volonté divine. Les calvinistes du Massachusetts établissaient ainsi le règne de l’église visible, une république du peuple élu en alliance avec Dieu. »

Il était impossible qu’un gouvernement si rigoureusement concentré, inquisiteur des consciences, pénétrant dans les détails intimes de la vie, ne devînt pas trop pesant pour quelques-uns de ces hommes qui n’avaient fui au désert que pour conserver la liberté de leur esprit ; mais comme cet ordre de choses était en quelque sorte l’église même, toute plainte, toute agression devenait une hérésie. Et alors la police devenait persécution religieuse, persécution d’autant plus opiniâtre qu’elle défendait l’existence même de l’état. Les puritains imitèrent la politique anglicane qui les avait chassés, et leurs adversaires relevèrent contre eux le drapeau de l’opposition qu’ils laissaient tomber. « Arrivés au pouvoir, dit Hildreth,