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transporterait elle-même en Amérique, c’est-à-dire que la direction de la colonie serait remise aux mains des associés qui iraient eux-mêmes s’y établir. Par cette simple mesure, la corporation commerciale devenait un véritable gouvernement. Les troubles de l’Angleterre empêchèrent qu’on n’y prît garde, et les conséquences de cette situation se révélèrent bientôt sous l’habile et zélé John Winthrop, le premier gouverneur de la colonie. Dès la seconde assemblée générale, en 1631, l’organisation théocratique fut établie avec cette force qui la fit durer, si rigoureuse et si contraire qu’elle fût aux principes mêmes de la secte, pendant un demi-siècle. Ce Winthrop, donné pour gouverneur aux puritains, était, dit Bancroft, « un royaliste honnête, ennemi de la démocratie pure, mais pourtant ferme défenseur des libertés populaires existantes. En Angleterre, il était conformiste, mais il aimait la pureté de l’Évangile, même jusqu’à l’indépendance ; en Amérique, il fut modérément aristocrate, préconisant le gouvernement du petit nombre, mais désirant que ce petit nombre fût le plus sage et le meilleur ; » en somme, un politique habile et pratique, très propre à éluder et à fondre les opinions exagérées. Ni l’inspiration individuelle, ni le Saint-Esprit de chaque frère, ni l’état de grâce senti intérieurement par chacun, ne pouvaient servir de base à rien de raisonnable. On laissa ces formules à l’état de devises inutiles, c’est ce qui arrive à toutes les formules révolutionnaires ; mais l’idée d’identifier l’état et l’église était trop enracinée pour qu’il fût possible de ne pas s’y conformer. Ainsi la théorie persista en se modifiant, et on posa le fondement de la théocratie sur la décision que voici : « A cette fin que le corps des communes soit conservé entre les mains d’hommes honorables et vertueux, il a été réglé et convenu que, pour le temps à venir, nul ne serait admis à la franchise de ce corps politique, excepté ceux qui seraient membres de quelqu’une des églises situées dans sa circonscription[1]. » Pour être reconnu membre d’une église, il fallait énoncer une profession de foi orthodoxe, subir des épreuves orales en présence de la congrégation, donner des marques de la conversion du cœur, avoir un vif sentiment de sa justification comme élu de Dieu, mener une vie conforme à la gravité puritaine[2]. L’église se définissait un corps associé pour la vigilance et l’édification mutuelle (for mutual watchfulness and édification) ; » de la des apparences austères et souvent l’hypocrisie. Telles étaient les conditions

  1. « To the end the body of the commons may be preserved of honest and good men, it was ordered and agreed that, for the time to come, no man shall be admitted to the freedom of this body politic, but such as are members of some of the churches within the limits of the same. »
  2. Hildreth, liv. II, chap. 7.