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et enrichir de toutes bonnes lettres et sciences à l’honneur et gloire de Nostre-Seigneur et au salut des hommes. Et puis naguères advertiz du trouble advenu à nostre chère et aymée fille l’Université de Paris, à cause de deux libvres faictz par maistre Pierre Ramus, intitulez l’ung Dialecticœ Institutiones, et l’autre Aristotelicœ Animadversiones… Et que, parce qu’en son libvre des Animadversions il reprenoit Aristote, estoit évidemment cogneue et manifestée son ignorance, voire qu’il avoit mauvaise voulonté, de tant qu’il blasmoit plusieurs choses qui sont bonnes et véritables, et mettoit sus à Aristote plusieurs choses à quoy il ne pense oncques...

« Avons condamné, supprimé et aboly les dits deux libvres... Faisons inhibitions et défenses à tous imprimeurs... et semblablement au dit Ramus de ne plus lire les dits libvres, ne lire en dialectique ne philosophie, en quelque manière que ce soit, sans nostre expresse permission : aussi de ne plus user de telles médisances et invectives contre Aristote, ne aultres anciens autheurs receus et approuvez, ne contre nostre dicte fille l’Université et supposts d’icelle, sous les peines que dessus... »

Ramus n’était point homme à se laisser abattre par ce coup. Un parti nombreux et redoutable était contre lui; mais il avait pour lui ce souffle puissant de rénovation intellectuelle qui, sur les ailes de l’imprimerie, commençait à circuler partout, au sein des parlemens, parmi la haute bourgeoisie, dans les écoles, et qui entraînait déjà l’autorité royale. Ce même roi, auquel les cris de l’Université viennent d’arracher un odieux et ridicule édit en faveur d’Aristote, avait fondé le Collège de France. Or quel était le sens de cette création? Un sens libéral et réformateur. Oui, toute l’économie du collège royal porte l’empreinte d’une conquête de l’esprit nouveau sur la vieille tradition universitaire. L’enseignement y est donné à tous sans condition. Et quel en est le cadre? Aussi vaste que l’esprit humain. L’Université n’enseignait guère que le latin et Aristote; au Collège de France, on commence à enseigner les langues orientales, la littérature grecque, la philosophie de Socrate et de Platon. Chose qui paraîtra étrange à plusieurs, l’hébreu et le grec ont été au XVIe siècle des nouveautés, des hardiesses, des instrumens de liberté et de progrès ! Et ce qui marque bien le caractère libéral de la noble institution naissante, c’est que l’autorité royale, qui s’était d’abord associée aux adversaires de Ramus, finit par instituer Ramus lui-même au collège royal comme professeur de philosophie et d’éloquence. Donner une chaire publique à l’adversaire déclaré d’Aristote et consacrer l’association de l’éloquence et de la philosophie à une époque où le syllogisme imposait à tous les esprits le joug impérieux de ses formules inflexibles, voilà certes une initiative hardie dont il faut être reconnaissant à la royauté.