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Pierre de la Ramée naquit dans un village du pays de Vermandois, à Guth, entre Noyon et Soissons, non pas en 1502, selon la conjecture de quelques historiens, mais, comme l’établit M. Waddington, en 1515. Nous savons par Ramus lui-même, et il a le bon goût de s’en faire honneur, que son père était laboureur, et son grand-père charbonnier. A l’âge de huit ans, cet enfant quitte son village et vient à Paris. Qu’y vient-il chercher ? La fortune ? Non, la science. Il se fait domestique d’un écolier du collège de Navarre, et parvient ainsi à suivre les cours de la faculté des arts, où il rencontre pour compagnons d’étude Ronsard et deux futurs cardinaux, Charles de Bourbon et Charles de Lorraine. Dans la journée, Ramus servait son maître ; la nuit, il lisait Cicéron.

Qu’enseigna-t-on à Ramus pendant ses trois années de philosophie ? La logique d’Aristote. Et quel fut l’effet de cet enseignement ? On en peut juger par le coup d’essai du jeune logicien ; ce fut une thèse ainsi conçue : Que tout ce qu’enseigne Aristote n’est que fausseté. Le scandale fut immense, mais le talent parut si merveilleux que Ramus se fit applaudir et fut reçu maître ès-arts. Ce succès était une surprise, et la philosophie officielle attendait l’occasion de s’en venger. Ramus ne tarda pas à la lui fournir ; il publia coup sur coup deux ouvrages également hardis, l’un où il reprenait la doctrine d’Aristote pour la renverser de fond en comble, l’autre où il proposait une nouvelle dialectique[1].

Deux péripatéticiens d’importance, Joachim de Périon, docteur de Sorbonne, et Antoine de Govéa relèvent le gant. Pendant qu’ils argumentent, le recteur de l’Université dénonce le novateur à la censure de la faculté de théologie. Bientôt l’Université en corps se prononce et sollicite des magistrats un arrêt pour la suppression immédiate des deux ouvrages incriminés. Ramus est cité devant le prévôt de Paris. L’émotion grossissant toujours, l’affaire est portée à la grand’chambre du parlement ; enfin elle paraît si grave, qu’elle est évoquée au conseil du roi. On nomme, pour entendre Ramus, une commission où ses adversaires sont en majorité, et le procès se termine par un arrêt du conseil où le roi de France se prononce en faveur du système d’Aristote :

« François, par la grâce de Dieu, roy de France[2]… Comme entre les aultres grandes sollicitudes que nous avons tousjours eues de bien ordonner et establir la chose publique de nostre royaulme, nous ayons mis toute la peine que possible nous a esté de l’accroistre

  1. Pétri Rami Veromandui Dialecticæ partitiones, etc., Parisiis, 1543. — Ejusdem Aristotelicæ animadversiones, Parisiis, 1543. — Sur ces deux ouvrages, consultez le catalogue des écrits de Ramus, savamment dressé par M. Waddington.
  2. Nous citons, avec M. Waddington, le texte très rare de la Sentence imprimée à part (Paris, 1543, quatre feuillets).