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à notre réunion immédiate. Ces raisons, je n’ai aucun motif pour vous les cacher, à vous qui avez daigné prendre à mon sort un si vif intérêt. J’attends même de votre bonté qu’il vous plaise de les communiquer au représentant de mon père. J’ai vécu pendant deux années sous le toit de Méhémed-Bey : il a eu pour moi tous les égards que je pouvais attendre d’un homme de sa race et de sa religion ; il a fait pour moi tout ce qu’il croyait devoir faire, puisqu’il m’a donné le titre et les droits d’épouse. Je ne me considère pourtant pas comme sa femme, ma religion me le défendant ; mais je serais la plus ingrate des femmes, si je ne le considérais pas comme mon bienfaiteur. Vous connaissez sa situation et les dangers qui menacent sa vie. Aussi longtemps que son sort ne sera pas décidé, — et je ne crois pas fixer à mon séjour auprès de lui un terme bien éloigné, — je ne me séparerai pas de lui. Que mon père se rassure, je ne suis plus chez un maître ; qu’il se console, je ne suis pas chez mon amant. Je suis auprès d’un ami qui a besoin de l’appui, de la sympathie, du courage d’une affection désintéressée. Mon père m’approuvera, et je sens à la tranquillité de mon âme que mon Dieu ne me condamnera pas.

— Habibé ! s’écria Méhémed hors de lui.

— Pas un mot de plus ! reprit Habibé avec un geste de commandement ; pas un mot, ni pour m’ébranler dans ma résolution, ni pour m’en témoigner votre reconnaissance ! Vous connaissez nos conventions. Lorsque volontairement vous avez renoncé aux droits que vous donnait sur moi la loi de votre pays, vous êtes devenu mon bienfaiteur ; c’est à ce titre que je vous consacre les derniers jours que je passerai dans ce monde.

Habibé demanda ensuite à connaître les dispositions du gouvernement impérial à l’égard de Méhémed. Le patriarche comprit qu’elle avait résolu de rester à Constantinople jusqu’à la conclusion des affaires du bey. Il se hâta d’expliquer à celui-ci les chances plus ou moins favorables sur lesquelles il pouvait compter. Le sultan et ses principaux ministres étaient disposés à la clémence, et se contenteraient de le retenir indéfiniment à Constantinople en lui allouant une pension convenable, en lui cédant l’usage de l’hôtel qu’il occupait, et de tout ce qu’il contenait, meubles, chevaux, domestiques, dont les trois quarts étaient des agens de police, des espions et même des soldats déguisés. D’autres ministres, et même quelques membres de la famille impériale, insistaient pour qu’on prît des mesures plus sévères. Tout en reconnaissant qu’une exécution publique produirait un effet fâcheux sur la population, désaccoutumée qu’elle est depuis quelque temps de pareils spectacles, ils semblaient craindre qu’une semblable indulgence ne devînt une source de scandale et n’encou-