Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne manquerait pas en ce cas d’y mener les soldats. Tout en réfléchissant, il avait gravi la côte sur laquelle le village supérieur était bâti. Il se souvint tout à coup d’un pauvre diable nommé Osman, qu’il avait jadis tiré des mains de ses gens, prêts à le mettre à mort. — Tu ne peux avoir besoin d’un pauvre homme tel que moi, puissant seigneur, lui avait dit alors le vieillard ; mais il y a sans doute quelque part des êtres faibles qui te sont chers, et je souhaite pouvoir leur rendre service un jour.

Se rappelant ces mots et connaissant la demeure d’Osman, Méhémed n’hésita pas davantage ; il acheva de gravir la colline, découvrit sans peine l’habitation de son ancien protégé, et, à la faveur des ténèbres, il arriva sans obstacles jusqu’à sa porte. L’espoir de Méhémed ne fut pas trompé ; Osman le reçut avec joie, et Méhémed put reposer sous ce pauvre toit avec plus de sécurité que dans la demeure du riche Hassana.

Peu d’instans après le départ du bey, une troupe de cavaliers s’arrêtait devant la maison du père d’Erjeb. — Où est le prisonnier ? vociféra l’officier. Habibé se précipita aussitôt dans la chambre que les soldats venaient d’envahir. — Il est parti, s’écria-t-elle.

— Il faut appeler Hassana, dit gravement l’officier, et un soldat se mit en devoir d’exécuter cet ordre. Quelques instans après arrivait Hassana, et son visage, d’ordinaire si impassible, trahissait un curieux mélange d’étonnement, d’inquiétude et de satisfaction. — Que viens-je d’apprendre, ma fille ? ton époux nous a quittés sans même prendre congé de nous ! C’est mal en user avec nous. Puis, se tournant vers le commandant, le vieillard lui dit avec humilité : — Je regrette fort que votre attente ait été trompée ; mais je vous prie de croire que j’ignorais…

— Le kaïmakan jugera de la sincérité de tes protestations. Cela ne me regarde pas. Il ne me reste plus maintenant qu’à te prier de m’accompagner, ainsi que ton honorable fils, à la résidence du kaïmakan.

Hassana, qui tremblait de tous ses membres, balbutiait des excuses ; mais Erjeb, qui s’était tenu jusque-là en dehors de la chambre, s’avança vers le commandant et lui dit : — Je suis prêt à vous suivre, et je suis persuadé que mon père se soumettra à votre volonté, si vous exigez absolument d’un pauvre vieillard sur le bord du tombeau qu’il quitte sa maison et sa famille pour paraître devant un juge ; mais avant de nous mettre en route, j’aurais à vous soumettre en particulier quelques idées, dont l’exécution pourrait nous dédommager du temps perdu. Veuillez me suivre dans le salon de mon père.

Dominé malgré lui par le ton assuré et légèrement impérieux du