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aperçut un homme qui rôdait sous les murs de la maison, et qui paraissait épier ce qui se passait à l’intérieur. Méhémed était doué d’une vue excellente, comme tous les hommes qui mènent une vie d’aventures et qui sont perpétuellement exposés à tomber dans un piége. Aussi parvint-il à découvrir les traits de l’individu suspect sans lui montrer les siens, à ce qu’il crut du moins ; mais il se rassura aussitôt en reconnaissant le fils de son hôte, qu’il regardait toujours comme un enfant sans conséquence, et cela par la raison excellente que depuis dix-sept ans il l’avait toujours considéré ainsi.

Après le départ de Méhémed, le vieux Hassana était resté plongé dans ses réflexions, il avait même oublié de fermer la porte secrète du cabinet, lorsqu’une nouvelle figure s’y présenta, entra sans faire de bruit dans la salle, ferma soigneusement la fausse armoire, et vint se placer devant le vieillard de manière à attirer son attention. Le manège réussit, car Hassana, qui jouissait encore de toutes ses facultés, tressaillit et leva les yeux sur le nouveau-venu.

— C’est toi, Erjeb ! lui dit-il. Eh ! par où es-tu entré ?

— Par cette porte, mon père, répondit le jeune homme, par cette porte que Méhémed-Bey a oublié de refermer en sortant d’ici.

— Ah ! tu l’as vu ? repartit le vieillard sans s’émouvoir. Ce n’est pas lui qui a oublié de refermer la porte, c’est moi qui aurais dû prendre ce soin.

— N’importe, interrompit sèchement le jeune homme, j’ai vu sortir Méhémed-Bey, et, trouvant la porte ouverte, je suis venu jusqu’ici.

Et il s’arrêta, espérant que son père lui en dirait davantage ; mais celui-ci gardait le silence. — Il est parti, reprit Erjeb, et je suppose que c’est pour longtemps…

Nouveau silence.

— Ai-je raison, mon père ?

— Ton idée est raisonnable en effet, répondit Hassana.

— Il ne reviendra donc pas de si tôt ? dit Erjeb en insistant.

— Lui ? mais non, il va revenir.

— En vérité ! mais c’est une imprudence, c’est de la folie ! Il va nous compromettre, mon père ; le lui avez-vous dit ?

— Je ne crois pas avoir eu le temps de le lui dire, mais il connaît les mesures que l’on a prises pour s’assurer de lui, et il les brave parce que sa femme est malade et ne peut aller plus loin.

— Il va donc l’amener ici ? s’écria le jeune homme, dont l’intelligence cheminait plus vite que celle de son père, il va la placer dans notre harem ! partira-t-il ensuite, restera-t-il ?

— Je n’en sais rien, mais j’ai cru comprendre qu’il comptait se cacher ici.