n’est perdu, répondit tristement Méhémed : je ne m’explique pas bien tout ce que tu m’as dit ; mais une chose ressort pour moi de tes paroles, c’est que tu me juges indigne de ton affection, et que cette indignité inquiète ta conscience. Je donnerais ma vie pour mériter ton amour, puisque j’aurais alors quelque chance de l’obtenir ; mais que puis-je pour cela ? Je ne comprends pas les reproches que tu m’adresses : comment puis-je me flatter de cesser de les mériter ? Il ne me reste donc qu’un moyen de réparer en partie le mal que je t’ai causé, c’est de te rendre cette liberté que tu appelles de tous tes vœux. Je puis te conduire sur un point de la forêt peu éloigné de celui ou sont les soldats, et d’où il te sera facile de les rejoindre : tu te feras connaître, et tu leur demanderas de t’escorter jusqu’à Constantinople, où tu te placeras sous la protection de ton ministre. Voyons, Habibé ; maintenant que j’ai souscrit à tes vœux, cesse de t’affliger et regarde-moi d’un œil satisfait : ce sera ma récompense et ma consolation.
— Y penses-tu, Méhémed ? s’écria Habibé, presque effrayée de son succès. Si je me montrais aux soldats, ce serait leur découvrir ta retraite, ce serait te perdre. Non, non, le sort en est jeté ; j’ai suivi volontairement tes pas, et je ne puis plus te quitter désormais sans attirer le malheur sur toi.
— Ah ! je le savais bien ! s’écria Méhémed ; tu es à moi, tu es mon Habibé que j’adore et qui m’aime.
Et Méhémed n’était plus occupé que d’apaiser la pauvre éplorée. — Pardonne-moi, continua-t-il, pardonne-moi tous mes torts, et ne les attribue qu’à mon défaut d’intelligence. Reste auprès de moi, restes-y comme tu l’entendras, c’est tout ce que je te demande. Regarde-moi avec un demi-sourire, et je ne t’importunerai plus davantage.
Il était difficile de lui refuser cette pauvre et unique faveur ; aussi Habibé l’accorda-t-elle, et cet entretien, où des sentimens si contraires s’étaient révélés, laissa Habibé aussi émue de la tendresse du bey que celui-ci l’était de son apparente froideur.
Les mêmes échanges de confidences et les mêmes contrastes d’idées se renouvelèrent plus d’une fois entre Méhémed et Habibé pendant les longues heures de cette vie de retraite, dont le calme profond, invitait ces deux âmes si différentes à s’interroger et à se recueillir. Habibé se sentait de plus en plus ramenée vers les souvenirs de sa jeunesse, dominée par les sentimens religieux qu’elle tenait de sa famille et de l’éducation qu’elle avait reçue. Elle comprenait toute l’étendue de l’influence qu’il lui était donné d’exercer sur le bey. Méhémed de son côté subissait l’action des paroles tour à tour graves et tendres de la jeune Danoise. Comme beaucoup de ses