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jeune fille et son fils, encore enfant, sont nés dans ces climats d’une mère arménienne que le consul épousa après la mort de sa première femme. Le consul possède une maison de campagne à quelque distance de Bagdad, et c’est là qu’il passait la chaude saison avec toute sa famille, quoique les affaires de sa charge l’appelassent souvent et le retinssent parfois plusieurs jours dans la ville. Il y a deux ans, cette campagne que nous habitions fut envahie par une bande nombreuse de bohémiens qui paraissaient n’avoir que des intentions pacifiques et s’occuper de diverses industries, telles que la vente du bétail et des poulains, le métier de forgeron, de fabricant de paniers, de tamis, que sais-je encore ? Nous allions souvent visiter leurs tentes avec mon père, qui ne les voyait pas sans crainte établis si près de sa propriété. Lorsqu’ils nous apercevaient de loin, ils venaient au-devant de nous, nous comblant de politesses, nous offrant le lait frais de leurs vaches et de leurs chèvres, les gâteaux pétris de leurs mains, avec une affectation d’empressement qui nous déplaisait. Une vieille femme, d’une laideur affreuse, semblait m’avoir prise en amitié, et me faisait des complimens effrontés qui me causaient un malaise indéfinissable. — Combien je connais de beaux seigneurs qui donneraient dix domaines comme celui-ci pour être en ce moment à ma place ! me disait-elle un jour en me présentant une tasse de lait. Quel dommage qu’une aussi belle personne demeure enfermée à la campagne auprès de son père, au lieu de régner dans un harem et de voir à ses pieds un riche et puissant pacha ou un amant plus illustre encore ! — Que dites-vous là à mon enfant, vieille folle ? s’écria mon père, qui l’avait entendue, quoiqu’elle parlât à voix basse ; ma fille est née chrétienne, de parens chrétiens, et n’aura jamais rien de commun avec vos harems et vos pachas ; pesez mieux vos paroles, si vous ne voulez que je vous chasse d’ici… Et à partir de ce jour nous n’allâmes plus visiter le camp des bohémiens.

Cependant mon père était depuis deux jours à la ville, et nous ne l’attendions que le surlendemain, lorsque je fus réveillée dans la nuit par une vive sensation d’étouffement. J’étais dans l’obscurité, mais il me semblait que ce n’était pas de l’air que je respirais, et lorsque j’eus rassemblé mes idées, je compris que j’étais enveloppée dans un nuage de fumée. — Le feu ! m’écriai-je en sautant hors du lit ; puis, passant à la hâte quelques vêtemens, je frappai à la porte de notre gouvernante en lui criant que le feu était à la maison, et je descendis précipitamment réveiller les domestiques, qui couchaient au rez-de-chaussée. La confusion qui suivit l’annonce de l’incendie nous enleva aussitôt tout espoir de le vaincre. Les domestiques se sauvaient de côté et d’autre, emportant sous leurs bras ou sur leur dos tous les objets qu’ils pouvaient saisir. Pour moi, ma seule pensée