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douter que notre siècle a fait, au-delà du précédent, un pas irrévocable vers l’anéantissement ou du moins vers la réduction des nationalités.

D’un autre côté, les choses mortes qu’il a ressuscitées se réduisent à deux, la Grèce et la Belgique, en sorte qu’entre ces tombeaux et ces berceaux il semble encore indécis, attendant une main qui le pousse et n’osant s’engager avec résolution ni dans la voie des renaissances, ni dans la voie des ruines. Toutefois il est certain déjà qu’il n’a point à se repentir des deux résurrections que je viens de rappeler. Par la création de la Grèce, il a donné une satisfaction à la piété des hommes envers le passé, par celle de la Belgique à leur raison, par l’une et l’autre à la justice. Tout bien considéré, la première de ces créations est un des actes qui plaideront le mieux pour lui dans l’avenir. Toutes les fois qu’il s’agira de la Grèce, l’humanité tressaillera de joie d’avoir enfanté un peuple ; elle se rappellera l’heure, le moment où cela est arrivé, et elle applaudira, car ce n’est pas par une circonstance particulière, dans un moment de déplaisir ou d’humeur, qu’il faut juger ces choses immortelles. Il n’appartient qu’à Dieu de se repentir d’avoir créé des hommes.

Direz-vous que la Grèce était plus facile à ressusciter que ne le serait aujourd’hui la Roumanie du Bas-Danube ? On pourrait le contester ; je me souviens que beaucoup de gens pensaient alors qu’il était trop tard pour rien faire. Tout ce que l’on devait trouver, selon eux, dans cette exhumation d’un peuple, c’était un peu de cendre, et cela pourtant n’a pas empêché l’Europe d’agir et le peuple de survivre. Que faudrait-il donc aujourd’hui, si l’on voulait vous décider à faire pour la Roumanie non pas la dixième, mais la centième partie de ce que vous avez fait pour la Grèce ? Que faudrait-il ? — Un nom antique ? Celui des Roumains ne l’est-il pas ? — Une iniquité criante ? Ils la subissent. — Des avanies, des exactions, des extorsions, des massacres ? Ils ont souffert tout cela pendant des siècles.

Il faut un intérêt politique, déterminé, avoué. J’en conviens ; mais l’intérêt ici est évident. S’il s’agit de fortifier, de consolider la Turquie, encore une fois, est-il préférable pour elle, oui ou non, de traîner après soi dans les provinces danubiennes un corps mort ou un corps vivant, prêt à partager ses luttes, ses dépenses, ses sacrifices, ses périls, ses combats ? Que sert à la Turquie de posséder ces provinces, s’il n’y a point d’hommes pour les couvrir ? Que lui sert d’avoir des landes, si ces landes sont stériles ? Est-ce seulement un tribut qu’il lui faut, ou des sociétés policées qui épousent sa cause ? Au lieu de ce désert, supposez un peuple régénéré, attaché à la Turquie par l’intérêt, par le besoin de la défense commune, encore